Vous voilà élu : une vie dont ne voudrait pas un chien
vous attend.
Il y a d’abord le travail législatif. De deux choses : l’une
soit vous êtes dans la majorité, soit vous êtes dans l’opposition. Être
majoritaire n’est pas aisé : on a été élu sur un programme qu’on sait
largement irréalisable. D’autant plus que la conjoncture se montre défavorable.
Il arrive que vous vous voyiez contraint par les circonstances non seulement d’en
abandonner de nombreux point mais aussi de voter des mesures sinon
diamétralement opposées à vos promesses du moins en forte contradiction avec
elles. Si vous êtes idéaliste, vous en concevez de la frustration. Même
cynique, vous n’échappez pas au malaise car vous ne quittez pas des yeux les
lignes bleues (ou roses) de la réélection et de l’indispensable investiture. Pour
ménager le chou partisan et la chèvre électrice il vous faut donc vous livrer à
un délicat exercice d’équilibrisme entre un indispensable soutien et une
critique mesurée. Tout en priant le bon
Dieu (ou tout autre haute instance) pour qu’au bout du mandat un événement
salutaire ou une amélioration soudaine de la conjoncture vienne soit limiter la casse soit créer les
conditions du miracle qui vous a amené à la chambre.
Dans l’opposition, c’est plus confortable, surtout si vous
bénéficiez de la mauvaise foi du charbonnier. Non seulement vous pouvez
défendre avec une constante véhémence les (plus ou moins) justes revendications
de votre électorat mais vous pouvez critiquer systématiquement les options du gouvernement même quand elles
vont dans votre sens.
Que vous soyez d’un côté ou de l’autre, il vous faudra de
temps en temps faire preuve d’initiative : poser une question au
gouvernement voire déposer une proposition de loi laquelle n’a aucune chance d’être
acceptée si vous êtes dans l’opposition et donc ses effets ne vous seront
jamais reprochés… Mais que vous soyez godillot ou contestataire systématique ce
n’est pas à Paris que vous attendent les pires corvées.
Car pour le vain peuple votre mission législative n’est qu’accessoire.
Il vous voit plutôt comme une courroie de transmission entre lui et le pouvoir
central ainsi qu’un potentat local omnipotent. Il attend beaucoup de vous. D’abord,
il veut vous voir. Pas question de ne pas assister à l’inauguration des
pissotières du chef lieu de canton ou des nouveaux locaux des Joyeux Boulistes de
Vazydon (JBV). Sans votre lumineuse présence, quel intérêt présenterait l’assemblée
générale de l’Amicale Départementale des Pêcheurs d’Ablettes (ADPA) ? Et
celle du Comité de Sauvegarde des Rives de la Bouzarde (CSRB) ? Du coup
vous vous trouvez invité partout et souvent en plusieurs lieux en même temps.
Si vous passez partout en coup de vent, vous serez mal vu. Si vous passez la
soirée à Ploucville, ceux de Villepaumée seront jaloux. Si vous n’allez nulle
part on vous en voudra. Et vos innombrables lettres d’excuses évoquant quelque
priorité incontournable n’y changeront rien, bien au contraire.
Et puis il y a les courriers et les permanences où chacun
vient se plaindre de droits bafoués souvent imaginaires quand ce n’est pas
réclamer d’éhontés passe-droits. Qu’est-ce
que vous y pouvez si le chien du voisin gueule tout le temps ? Si la
belle-mère est acariâtre ? Si l’HLM qu’on occupe parait trop exigu ou trop
vaste ? Si le fiston ne trouve pas de boulot ? S’il n’y a pas de place à l’EHPAD pour la
bonne grand-mère ? Si, célibataire et sans enfant, on vous refuse les
allocations familiales ? Si vous trouvez votre note de gaz trop élevée ?
Il vous faut feindre de prendre tout ça
au sérieux, promettre d’intervenir, faire des courriers exprimant votre soutien
aux plus absurdes revendications, pousser un peu à la roue quand faire se peut…
Et ce faisant, vous voir accusé de clientélisme ! Mais sans clients il n’y aurait pas de
clientélisme !
Bref, pour résumer, vous passez votre temps à des conneries comme
le disait si bien le regretté Georges Frêche. Vos efforts constants et chronophages,
fournis au détriment de votre vie familiale ou privée, vous valent-ils une
reconnaissance éternelle ? Rarement. N’importe comment et quoi que vous
fassiez, dans la plupart des cas, la
quasi-moitié des citoyens que vous êtes censés représenter n’ont pas voté pour
vous et une grande partie de ceux qui vous ont élu l’ont fait faute de mieux.
Presque tous s’accordent pour trouver que vous bénéficiez d’avantages exorbitants
et totalement injustifiés.
Pour remplir ce genre de fonctions, il faut avoir un profil psychologique
très spécial qui vous fait trouver dans ce genre de position une fierté qui
efface tous ces désagréments. Je ne l’ai pas. Je n’envie pas ceux qui l’ont. A
ceux qui les jalousent et les vomissent je dirai : si la place vous paraît
si bonne, entrez dans la course, bonne chance et surtout bon courage !