J’ai de la chance. Je n’y peux rien, c’est comme ça. Elle ne
m’a jamais quitté. Quand j’ai fait faillite, je ne me suis pas retrouvé en
prison. Quand j’ai divorcé, ma femme m’a laissé prendre deux pleines valises de
biens personnels. Quand ma maison a brûlé, j’étais absent. Quand j’ai eu un
accident, je suis sorti indemne de l’amas de ferraille qu’était devenu mon
véhicule. Si je ne gagne pas le jackpot du Loto chaque semaine, c’est
uniquement parce que je ne prends pas de tickets. D’ailleurs à quoi cela
servirait-il vu que régulièrement je reçois des e-mails comme celui de ce matin :
« Your email,
Please be informed that your email has been given a
compensation grant for the
sum of Nine Hundred and Twenty Thousand Euros cash
reward from the United
Nations 2014 charity program worldwide.
You are advised to open correspondence with your
program payout agent Mr. Mark
provide him wit your name, country of origin and
telephone number.
Thank you and best regards,
Sanders Varetti. »
A
ceux qui auraient été distraits lors de leurs cours d’anglais je spécifierai
que le programme mondial 2014 de charité des Nations Unis m’a attribué une
bourse de compensation de 920 000 €. Tout ce qui me reste à faire est de
prendre contact par mail ou téléphone avec
M. Mark Boldi, de lui fournir mon nom, mon pays d’origine et mon téléphone.
Cela fait, je suppose qu’il m’appellera pour connaître mon adresse exacte afin
de m’envoyer un mandat postal du montant de ma bourse.
Eh
bien, je n’en ferai rien et cela pour les raisons suivantes : je crains
que de me retrouver à la tête d’une telle somme ne m’amène à être soumis à l’ISF
avec obligation de déclaration annuelle et tout le toutim et j’ai horreur des
paperasses. Ensuite, cet afflux inattendu de liquidités pourrait m’amener à me
lancer dans des dépenses somptuaires comme le changement de la ligne d’échappement
de mon break Focus qui devrait pouvoir tenir encore quelque temps. Enfin, et
peut-être surtout, je me demande si ce programme de charité choisit judicieusement
ses bénéficiaires. Sans être fortuné, je jouis d’une relative aisance, surtout
par rapport à nombre d’Africains, d’Asiatiques, de Sud-Américains et même, si j’en
crois les infos, de certains Nord-Américains et Européens. En cherchant bien,
je suis certain qu’ils trouveraient des bénéficiaires qu’une telle somme
tirerait de l’ornière.
Je
vais donc m’abstenir de répondre à M. Boldi. Au bout d’un moment, la mort dans
l’âme, il se verra contraint d’attribuer ma bourse de compensation à un autre
qui, je l’espère, en aura plus besoin que moi. Décidément ma chance n’a d’égale
que ma grandeur d’âme !
PS : Si l'un ou l'une d'entre-vous était intéressé (e), il ou elle pourrait téléphoner à Mark. Peut-être ne vérifiera-t-il pas votre e-adresse... C'est un coup à tenter !