En cette année de
grandes commémorations et suite à des questions de ma fille, j’ai été amené à m’interroger
sur ce que fut exactement la guerre de mon père. J’avais quelques indices,
saisis au fil de conversations : Canada, Alexandrie, Le Cap, Dakar, Algérie,
il en avait vu du pays… Mais il en
parlait peu. D’où mes malentendus. Pour moi, il avait passé sa guerre
immobilisé en Égypte, attendant loin des tumultes que les affaires se tassent. Et
puis je me suis mis voici quelques jours à faire des recherches. Elles bouleversèrent
l’idée que je me faisais de la légende paternelle. Y a –t-il le moindre intérêt à évoquer des
faits familiaux vieux de soixante-dix ans et plus ? Je pense que oui, car
au-delà de la personne qui les a vécus, ils peuvent montrer la distance qui
existe entre la version manichéenne qu’on nous vend aujourd’hui et ce que fut la
réalité d’hommes pris dans une tourmente dont les enjeux les dépassaient et à
qui leur marge de manœuvre paraissait aussi réduite que celle d’un bouchon
flottant sur l’océan.
Le 5 décembre 1938, lassé d’années passées en pension chez
les bons Montfortains à l’école apostolique « Le Calvaire » de Pontchâteau
(Loire Atlantique), peu soucieux de devenir un de ces missionnaires que tendait
à former l’établissement, mon père décida d’abandonner ses études pour devancer
l’appel et intégrer la Marine Nationale. Ayant il y a bien longtemps lu le
règlement de l’école, il me fut aisé de concevoir que comparée à la vie
scolaire, celle d’un militaire pouvait sembler une porte ouverte sur l’anarchie
et le confort. Seulement, si les bons pères étaient très forts sur la
discipline, les offices, les lectures édifiantes en latin et autres prières, ils avaient tendance, ce
faisant, à tenir leurs disciples peu au fait des troubles qui agitaient le
Monde. En cette fin 1938, mon père n’était aucunement informé des préoccupants bruits
de bottes qui laissaient présager la
prochaine guerre. Ce ne sont pas ses rares séjours chez ses parents qui
ignoraient radio comme journaux et parlaient un français très approximatif qui
auraient pu le renseigner sur les bouleversements en cours et en préparation. D’une certaine manière, comme disent les
anglais, il avait sauté de la poêle dans le feu…
Toujours est-il qu’il assista avec effarement à la mobilisation
à Rochefort où on laissait les chevaux
réquisitionnés, faute de fourrage, crever de faim attachés à des arbres après
en avoir dévoré écorce et branches basses. Ça sentait bon l’organisation… Le souvenir suivant fut
un voyage à bord du cuirassé Lorraine à Halifax, au Canada, en novembre 1939
afin, selon lui, d’y mettre à l’abri une partie de l’or de la Banque de France.
Ce qu’il ressentit comme un indice du peu de confiance que le gouvernement
avait dans le sort de nos armes. Un article
sur la question dément son avis sur la question : il ne s’agissait que d’assurer
le paiement comptant des armes commandées aux USA comme l’exigeait la pratique
du « Cash and carry » instaurée par Roosevelt. Après avoir participé
à diverses opérations avec la marine anglaise et à diverses missions visant à
parer une intervention italienne en Méditerranée Orientale, vient la débâcle et
toujours sur le Lorraine, navire amiral de la Force
X, mon père quitte Toulon pour se rendre à Alexandrie, elle y parvient en
Juin. La flotte s’y trouve encore lors du déclenchement de l’Opération Catapult
déclenchée par les Britanniques afin d’éviter que la Marine Française ne tombe
aux mains des Allemands. Il s’agissait de saisir ou de neutraliser les bateaux
de guerre français si nécessaire en employant la force. Ce fut le cas à Mers el-Kébir
où la marine anglaise attaqua les navires français provoquant près de mille
morts. Ce qui ne facilita pas la poursuite de bons rapports entre ces « alliés ». A Alexandrie, il en alla autrement. Il se
trouvait que l’amiral Cunningham et l’amiral Godfroy étaient beaux-frères et s’estimaient.
Ils atteignirent donc un gentlemen’s agreement, l’escadre française fut désarmée
et mon père put, trois ans durant(et non cinq comme je l’avais jusqu’ici pensé
) goûter aux joies plus ou moins exquises d’un exil égyptien sous contrôle
britannique…
Ce qui, comme nous le verrons, n’irait pas sans poser de menus problèmes…