La vache est une énigme sur quatre pattes. Quoi d’apparemment
plus paisible et bonasse que ce bovin ? Que seraient les campagnes
normandes sans leur pluie, leurs pommiers et leurs vaches qui broutent, bousent
et pissent dessous ? Or, cet animal, qui participe si activement à l’établissement
d’un climat serein et bucolique, qui est supposé prendre plaisir à contempler
le passage des trains quand les cheminots ne sont pas en grève, doit avoir un côté bien sombre vu que son nom
est utilisé dans de nombreuses expressions qui n’ont rien de flatteur quand
elles ne sont pas carrément insultantes.
On m’objectera que le cochon (ou porc) connait le même sort
vu qu’on le considère comme un glouton, un lubrique et qu’on lui attribue un
goût très marqué pour la crasse. Le mouton s’en tire un peu mieux quand on ne
lui reproche que son comportement grégaire. Le bouc, en revanche se voit, en
dehors de son odeur, accuser d’être une créature du diable. Oies et poule sont,
elles, réputées stupides (et elles le sont, les bougresses !) Mais ces
animaux ne sont pas par ailleurs érigés en symboles de paix campagnarde souvent
présentes sur des cartes postales où les autres animaux de la ferme sont rares
ou absents.
Bien que très commun, ce ruminant est invoqué quand on assiste
à un spectacle inouï « Ah la vache ! Quel beau cul sourire ! »
s’écrie l’esthète surpris par tant de joliesse. La « peau de vache », n’est pas qu’un
cuir, elle désigne aussi une personne particulièrement mauvaise. « Mort
aux vaches ! » proclame l’anarchiste. Dans le cas fort improbable où
quelque aliéné traiterait notre
charmante garde des sceaux de « vieille vache », on ne le poursuivrait
pas pour racisme mais pour irrespect et point ne serait besoin qu’on en
saisisse le tribunal de Cayenne. Quant à « l’amour vache », ne
désigne-t-il pas une relation où l’on échange plus de coups que de caresses ?
Comment concilier l’image d’un paisible ruminant et ces
expressions disgracieuses ? Son côté débonnaire serait-il affecté ?
Cacherait-il une nature foncièrement mauvaise ? J’avoue ne pas savoir qu’en dire. Cependant,
la présence d’une ferme dans mon immédiat voisinage me permet d’observer une
spécialiste de la bête et le comportement qu’elle lui inspire. Arlette doit
avoir une bonne cinquantaine d’années de fréquentation assidue du bovin en
question. On peut donc lui en supposer une profonde connaissance. Je la vois
passer chaque matin et chaque soir, grimpée sur son vélo tandis qu’elle convoie
son troupeau vers un pré ou qu’elle l’en ramène. Eh bien force est de constater
que le comportement de ses laitières met cette brave femme dans un état de rage
folle. Avec pour conséquence un nombre de « nom de Dieu !», de « saloperie ! »
de « merde ! » et de jurons divers au kilomètre à faire pâlir d’envie
le plus rude des charretiers. Ces
gracieusetés s’accompagnent de force coups de bâton sur l’échine des
indisciplinées. Je n’ai jamais entendu
cette habituellement gente, quoiqu’un peu rustre, dame traiter de la sorte son
brave homme de mari ou ses enfants. Il doit donc exister de solides raisons à son ire.
Ma notion de ce que pourrait être un comportement acceptable
de la part de ses vaches étant très floue, je ne peux décider de la manière
dont elles s’en éloignent. Il m’est arrivé de penser que le fait que certaines
se mettent à bouffer ma haie au passage infligeant à celle-ci de graves
dommages serait une des raisons de sa colère. Mais il n’en est rien : elle
n’intervient que quand la ou les vandales saccagent mes arbustes en ma
présence. Quand elle ne m’a pas vu, elles peuvent brouter tout leur saoul à
condition de ne pas trop retarder l’avancée du troupeau.
La vache (je parle ici de l’animal et non d’Arlette) reste
donc pour moi une énigme.