Des critiques acerbes me furent adressées en commentaires
hier. J’aurais omis d’évoquer certains points essentiels concernant cette bête
immonde nommée mouton. En ces temps de crise, ne pas tenir compte des exigences
de sa clientèle mène inéluctablement toute entreprise au dépôt de bilan. C’est
pourquoi, afin de sauver ce blog de la désaffection, j’ai décidé de revenir à
nos moutons comme on dit chez Pathelin.
Je commencerai par vous entretenir du célèbre « mouton
à cinq pattes ». C’est un animal
très recherché, généralement en vain car bien plus rare que le canard à quatre
pattes dont les imbéciles sont supposés avoir du mal à briser les membres. Du coup, l’expression
a fini par désigner toute quête d’un objet ou d’une affaire introuvables. Or,
il fut un temps lointain ou avoir cinq pattes était la norme pour les moutons.
Deux à l’avant, trois à l’arrière. Ce qui faisait que l’animal offrait aux
gourmets de l’époque trois délicieux gigots. En ces âges farouches, on ne
mangeait que cette partie de l’ovidé, le reste étant donné aux chiens. Doté d’un
solide appétit, chaque membre de la famille avait droit à son gigot pour le
déjeuner. Ainsi, une famille de quinze personnes (taille moyenne de tout foyer)
achetait-elle cinq moutons pour tout repas digne de ce nom. C’était compter
sans l’habileté commerciale d’un éleveur peu scrupuleux chez qui naquit un jour
un agneau monstrueux doté de seulement quatre pattes (deux à l’avant deux à l’arrière).
Son esprit retors fit un calcul simple : pour satisfaire les besoins
carnés d’une famille standard, il faudrait non plus cinq, mais huit bêtes (le
chef de famille s’attribuant le gigot surnuméraire). Même s’il faudrait se
résigner à consentir un léger rabais par rapport au prix de la version
trigigotique, l’affaire pouvait être juteuse… Réunissant ses confrères il lui
fut aisé de les convaincre de l’intérêt de la chose. On se mit bien vite à la
recherche de béliers et de brebis à quatre pattes. Et on en trouva. Une
sélection permit de produire rapidement nombre d’agneaux et agnelles
digigotiques et on fut bientôt en mesure d’approvisionner le marché. Très
rapidement, le mouton à cinq pattes disparut mais durant une période de transition la recherche du mouton à cinq
pattes continua d’être parfois couronnée de succès. De cet heureux temps ne
nous reste qu’une expression.
L’expression « être le mouton noir », c'est-à-dire
celui qui, dans une famille, s’éloigne de la norme tire son origine d’un
phénomène que l’on constate au sein de troupeaux d’ovins. De temps à autre, un
gène récessif fait que naît un mouton de cette couleur. Ce phénomène est semblable
à celui de « l’enfant noir » que l’on observe parfois au sein des
familles les plus unies. Certains esprits obscurantistes et superstitieux
tendaient à attribuer ces naissances « hors normes » à l’arrivée d’un
facteur antillais au bureau de poste dont ils dépendaient. Dieu merci, la
science a permis de dissiper ce malentendu. S’il en fallait une preuve supplémentaire,
le fait que les femmes soient de moins en moins au foyer et que les facteurs n’aient
plus de temps à perdre en s’arrêtant chez leurs clients (ils évitent même de
sonner et de monter les étages quand ils ont un colis ou un recommandé à vous
remettre) n’a pas arrêté le phénomène qui continue de se produire et semble
même aller croissant…
Quant au mouton élevé sous la mer d’Al, je crains qu’il ne
confonde avec le veau qui a le pied aussi sous-marin que marin. En revanche, l’agneau
de pré salé est une réalité. On l’élève aux environs du Mont-Saint-Michel et
dans les havres du Cotentin. Des études sont en cours pour poivrer et ailler ces
prés, de manière à éviter aux consommateurs le souci d’avoir à assaisonner
leurs gigots et autres côtelettes.
Pour finir, j’évoquerai cette particularité qu’ont les
anglais d’employer le terme « mutton » dérivé du français pour
désigner la viande de l’animal tandis que l’animal est nommé « sheep ».
Il en va de même pour l’opposition pork/pig et beef/ox. Certains pseudo-savants
ont tenté d’expliquer cette pratique par le fait que les nobles, d’origine
normande et partant francophones mangeaient la viande alors que les paysans
anglo-saxons gardaient les troupeaux (un peu comme en espagnol, les noms des
produits consommables de l’olivier portent des noms d’origine arabe
(aceite=huile de l’arabe az-zeyt, aceituna = olive, de l’arabe az-zeytun)
tandis que l’arbre porte un nom d’origine latine (olivo) comme l’oliveraie
(olivar)). Il s’agit bien entendu d’un
ramassis d’âneries. Selon le département linguistico-sociologique de l’École
Rosaellienne Réunifiée d’Études Universitaires
et de Recherche Scientifique (E.R.R.E.U.R.S.) à laquelle je me flatte d’avoir
un temps appartenu, il faut plutôt chercher l’explication de ce phénomène dans
le respect (de l’arabe (al raspiq = haute considération) qu’ont les anglais
pour les morts ainsi que dans la juste admiration qu’ils vouent à l’élégance de notre langue. C’est
pourquoi un « sheep » décédé se voit élevé au rang de « mutton ».
Ce même phénomène existe chez nous pour les humains : il est de règle que
le « triste connard » et « l’infecte salope » se voient, la
mort venue, unanimement qualifiés qui de « saint homme », qui de « sainte
femme ».