Dès que se produit un fait inhabituel (mini-tornade,
inondation, tempête, enneigement paralysant, grêlons gros comme des balles de
golf, de tennis ou comme des ballons dirigeables, pluie de rhinocéros blancs,
etc.) on dépêche des reporters sur place et il se trouve toujours parmi les
personnes interrogées quelqu’un pour déclarer qu’il (ou elle) « n’avait
jamais vu ça ». Cette constatation, est du plus haut intérêt. Il parait
assez évident que si des équipes de télévision se déplacent à
Vazy-en-Berrouette, c’est qu’il s’y est passé quelque chose de plutôt
exceptionnel, au moins pour l’endroit. Je vois mal la fine fleur du reportage
télévisé arriver en automne dans les collines pour y filmer le crachin ou le
brouillard. Même un ciel bleu, totalement exempt de nuages n’y justifierait pas
un déplacement estival, c’est dire qu’il faut du sanglant, du rare, du
catastrophique pour justifier le moindre sujet.
Seulement, l’exceptionnel ne l’est souvent que localement.
Des inondations qui mouillent tout, des chutes de grêlons monstrueux qui
hachent menu les récoltes et font des trous dans les toits, des coups de vent
qui abattent les chênes pluri-centenaires ça se produit tous les ans mais pas
toujours au même endroit et très rarement en même temps. Du coup, il se trouve
toujours un benêt pour faire le constat malheureux qu’il n’ « avait
jamais vu ça ». En fait, s’il déplore que les crues inondent, que la grêle
est défavorable aux cultures, qu’un mètre de neige gène la circulation en
plaine, qu’un vent soufflant à deux cents à l’heure provoque de menus dégâts,
c’est surtout parce que ces désagréments se sont produits CHEZ LUI. Tant
qu’elles se produisent chez le voisin, le côté exceptionnel des catastrophes ne
le frappe pas plus que ça.
L’avantage de ces répétitives surprises c’est qu’elles
participent à l’entretien d’un climat de morosité lié à la deploratio temporis acti. Dans le bon vieux temps, on ne voyait
JAMAIS ça. C’est bien simple : à la fin de ce temps béni, lorsque pour la
première fois se mirent à virevolter dans l’air de légers flocons blancs et
qu’ils finirent par bloquer les gens chez eux, lorsque des bouts de glaces
tombèrent du ciel fracassant ou hachant tout, quand, suite à ce qu’on aurait pu
assimiler à un violent mouvement d’air, les arbres se trouvèrent déracinés
tandis que volaient les toitures, les gens, en plus d’en être désolés, furent profondément intrigués vu que personne
n’ « avait jamais vu ça ». Il leur fallut vite fait inventer les
mots « neige », « grêle » ou « tempête »…
Imaginons que quelque
chose de VRAIMENT inouï se produise, comme la pluie de rhinocéros blancs que
j’évoquais plus haut. Que se passerait-il ? Les équipes de tournage nous
feraient découvrir dans un Vazy dévasté, un sol jonché de cadavres de
rhinocéros blancs, l’un d’entre eux, s’étant même écrasés dans le salon des
Michu, écrabouillant entre autres merveilles la télé grand écran et le
vaisselier abritant le service de table en Limoges hérité de la tante
Adèle ! Scène de désolation commentée par les époux Michu par un « On
n’avait jamais vu ça ! » consterné avant que ce couple méritant explique
n’avoir échappé à une mort certaine qu’à
cause d’un hasard miraculeux qui fit qu’au moment où l’averse de rhino s’était
produite, madame travaillait de nouvelles positions chez la crémière en vu du
Lesbian Sex Show organisé pour la fête votive tandis que monsieur s’arsouillait
consciencieusement à la cave.
Après quelques images « susceptibles de
choquer les personnes sensibles » (troupeaux de vaches transformées en
crêpes sous un amas de rhinos, chien Azor hurlant à la mort devant les débris
de sa niche, corps atrocement mutilés dans la chapelle ardente, etc.), on
interrogerait le M. Météo de la station pour savoir si un tel prodige était lié
au réchauffement global. Le monsieur confirmerait, expliquant qu’une tornade
des plus violentes ravageant les réserves kényanes avait eu pour effet
d’arracher à leurs savanes des troupeaux de rhinos blancs qui, portés par les
vents ascendants étaient ensuite venus tomber sur Vazy-en-Berrouette,
provoquant les dégâts que l’on sait. Le préfet, interrogé sur les mesures
envisagées pour prévenir de telles catastrophes, annonçerait un plan
d’installation de pararhinos en plastique renforcé au-dessus des principales
agglomérations du département de Cher-et-Tendre. Retour vers M. Météo à qui
l’on demanderait si de nouvelles pluies de ce type seraient à craindre, lequel
devrait reconnaître que c’était hélas probable et qu’on pouvait même redouter,
si rien n’était fait pour endiguer le réchauffement, que dans un proche avenir
nous n’ayons des pluies d’éléphants dont les effets seraient sans commune
mesure avec celles de rhinos blancs… La routine, quoi…