Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
Le Mildiou (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
est venu ravager mes patates ! Un peu comme Chio,
que pleura Hugo, mes carrés de tubercules sont dévastés. Quoi de plus beau,
de plus charmant, de plus apte à élever un cœur déjà noble qu’une planche où verdit et fleurit la pomme de
terre ? Chaque matin, jusqu'aux cœurs les
plus rudes, chacun s’attendrit au spectacle des rangs de solénacées. Et puis arrive le
mildiou. Les feuilles se tachent, très peu d’abord, puis les tiges commencent à
noircir. Faute d’une action rapide, la maladie descendra de la tige aux
tubercules et ceux-ci pourriront en terre ne vous laissant au mieux qu’une
piètre récolte. Alors, avant qu’il ne soit trop tard, il faut bien vite couper
les tiges et de votre carré verdoyant ne reste qu’une étendue désolée où
pointent tristement quelques moignons végétaux. Voilà où j’en suis. Ce matin,
avant que le soleil ne tape trop fort, j’ai dû, la mort dans l’âme couper ras une
centaine de plants. Deux brouettes ont été remplies des dépouilles. Je les ai
emmenées à l’endroit où je brûle mes déchets végétaux. Car il est recommandé de
brûler les feuilles atteintes afin de détruire les agents propagateurs. Selon
certains, il serait mieux de pratiquer cette crémation une nuit de pleine lune
tandis que de jeunes vierges dansent nues autour du brasier. Je pense qu’il s’agit
là d’un reste de paganisme et n’importe comment je compte peu de jeunes vierges
nues parmi mes relations.
Bien sûr, il y a un remède. Les parasites responsables étant
très sensible au cuivre, un traitement préventif à la bouillie bordelaise en vient
vite à bout. Mais je ne traite ainsi que mes tomates, n’étant pas fanatique des
pulvérisations, surtout que le côté venteux des collines tend à les disséminer.
Tout en mutilant mes plants, je pensais que même si mon
intervention s’avérait inutile, ce n’était pas grave. Bien sûr, voir ses
efforts et ses soins ne mener à rien n’est pas agréable. Mais si je veux absolument
des patates, il me suffira de me rendre au commerce le plus proche. Tel ne fut
pas le cas lorsqu’entre 1845 et 1851 le mildiou ravagea les cultures de pommes
de terre irlandaises entraînant une
famine qui fit selon certaines estimations un million de morts et poussa deux
millions d’habitants à émigrer vers l’Angleterre, Les États–Unis ou l’Australie.
Ce fut la dernière grande famine que connut l’Occident (Staline en organisa plus tard une bien plus belle en Ukraine, mais
on sait combien en ce domaine le communisme excelle). A la différence de l’Afrique
d’aujourd’hui, aucun avion chargé de vivres ne vint au secours du peuple de la
verte Erin.
En pensant à cela, mon scepticisme au sujet de l’écologisme
se trouva titillé. En effet, si je me montre raisonnable dans ma pratique du
jardinage (pratiquement pas d’engrais, traitements en cas d’absolue nécessité)
je suis réservé sur l’agriculture « bio » ou « traditionnelle ».
Car jardiner n’est pour moi qu’un simple
passe-temps, un modeste luxe. Si mes haricots ne lèvent pas, si les limaces
mangent mes salades, si les rongeurs ravagent mes réserves, si une maladie me
prive de tel ou tel légume, ça ne porte aucunement à conséquence. Ma survie n’en
dépend pas. En revanche, quand une calamité naturelle s’abat sur le sahel, bétails
et humains en meurent bien vite, bien plus rapidement et surement que ne les
auraient tués les produits d’une agriculture intensive. N’oublions pas que, malgré
tous ses mérites et les millions de bras (10 millions d’actifs agricoles en
1945), l’agriculture traditionnelle fut incapable d’assurer l’autosuffisance
alimentaire du pays. Il fallut attendre les années soixante-dix pour y
parvenir, grâce à la mécanisation et à l’emploi d’engrais de synthèse, de
pesticides et autres traitements. C’est triste comme bien des vérités. Que l’on
cherche à obtenir les mêmes rendements par des moyens différents (agriculture « raisonnée »,
OGM, etc.) est une chose, mais renoncer à un modèle productiviste me paraît
déraisonnable. A moins bien entendu que l’on considère souhaitable de débarrasser la terre de nombre des humains qui en infestent la surface. C’est en effet une
option…