Quand Fernandez, suite à une passe de Lopez marqua le
dix-huitième but en faveur du Honduras le doute commença à poindre au sein des
bleus. Il n’y avait que trente deux minutes que le match avait débuté. Jusqu’ici,
l’équipe de France n’était pas parvenue à marquer le moindre point. Ce qui
était assez logique : en dehors des engagements la baballe s’obstinait à
rester à proximité des buts tricolores. Lorsque l’arbitre siffla la fin de la première
période le score était de vingt-cinq à zéro.
Dans les vestiaires, le sélectionneur expliqua aux joueurs
la manière dont, selon lui, on pourrait inverser le cours du match : « Rien
n’est perdu, les gars ! Ce qu’il faut faire, c’est d’abord s’emparer de la
baballe, la pousser du pied, DU PIED, j’insiste là-dessus, vers les buts
adverses en courant très vite pour pas que les autres ils vous rattrapent, vous
pouvez aussi taper dans la baballe pour la passer à un collègue, l’idée est que
l’un d’entre vous arrive assez près des cages adverses et, en visant bien, d’un
coup de PIED ou de TÊTE, j’insiste encore là-dessus, l’envoie dans un coin où dont
que c’est que le gardien il peut pas l’attraper ! Suis-je clair ?»
« Ça pour ce qui est d’être clair, vous êtes clair répondit le commandant
de l’équipe (à moins que ce soit le capitaine, les grades, moi…) seulement c’est
plus facile à dire qu’à faire : moi, quand je cours, ça m’essouffle, je
suis tout en sueur et au bout d’un moment ça me fatigue. Sans compter que les
autres ils font rien qu’à essayer de nous prendre la baballe, même qu’ils y
arrivent tout le temps et qu’ils partent avec en courant plus vite que nous ! »
« Ben, quand tu sens que tu fatigues, tu fais une passe à un autre, s’il y
en a un dans le coin, c’est tout, coupa le coach. » « Mais des
passes, je fais que ça, seulement, le gars il repart avec la baballe dans l’autre
sens à fond les manettes et il marque un but chez nous en profitant de ce que le goal est parti
boire un coup ou pisser, s’indigna un joueur ! » « Ah, à ce
propos, je voulais te dire que c’est aux nôtres qu’il faut faire des passes,
pas aux Hondurassiens précisa l’entraîneur ! » « Ben moi, je fais des passes aux
nôtres, jamais à un Noir, s’indigna l’accusé ! » « Qu’est-ce que
tu nous racontes là ? Tu serais pas un peu racisse, par hasard, tu sais
que c’est pas bien du tout ? » « Ben vous nous avez dit, chef,
qu’y fallait défendre nos couleurs, je le fais ! Faudrait savoir ce que
vous voulez, quoi merde ! » « Mais bougre d’âne, les couleurs
dont je parle, ce sont celles de notre drapeau, celle de notre maillot ! »
Un « Ah bon ? » unanime exprima la surprise générale. « Ben
oui, j’ai oublié de vous le vous le préciser, mais les passes, on ne les fait
qu’à ceux qui portent un maillot de la même couleur ! ».
Ces précisions eurent un effet salutaire sur la seconde
mi-temps : les Bleus n’encaissèrent que douze buts supplémentaires. Il
arriva même qu’ils s’approchent des buts adverses, profitant d’une pause-bière
de leurs adversaires Honduriens. Hélas, leur gardien qui avait fait vœu de ne
plus boire pendant les matchs était là et arrêta le tir.
A l’Élysée, l’annonce de ce trente-sept/zéro provoqua une
réunion de crise. Si une victoire de la France était susceptible de faire
remonter la cote du président, de telles déculottées allaient la faire plonger
dans d’insondables abîmes. Il fallait réagir. « Il faut réagir !
déclara le président ! » « Bravo président, s’écria le Ministre
de la Servilité Partisane ! » « Oui, mais comment ? interrogea
le premier ministre ? » « Si le foot ne peut que nous desservir,
supprimons le foot, suggéra le Ministre des Réformes Hâtives ! » « Génial,
s écria son collègue de la Servilité Partisane ! » Tous se rallièrent à la suggestion du MRH.
Les mesures suivantes furent prises :
- Interruption immédiate de toute retransmission de match de la coupe du monde
- Tout match de football est interdit en France métropolitaine comme dans les DOM-TOM
- Le bilboquet devient sport national
- Toute personne surprise à parler de foot sera passée par les armes et sa famille (ascendants, descendants et collatéraux)se verra privée de sa nationalité, déportée au Brésil et ses biens seront confisqués.
Ces mesures eurent pour conséquence une remontée d’un point
de la cote présidentielle. Le Président y vit l’amorce d’une inversion de la
courbe de popularité. Hélas, le mois suivant, une hausse importante du chômage
eut lieu, suite aux licenciements massifs qui frappèrent l’industrie et le
commerce des trompettes en plastique, des perruques ridicules et des peintures
corporelles. La cote retomba à son plus bas, et, fidèle à sa feuille de route,
le président annula les mesures anti-foot. Les fusillés reçurent la Légion d’Honneur
à titre posthume, les familles rentrèrent en possession de leurs biens et
retrouvèrent leur nationalité même si la plupart d’entre elles préférèrent rester
au Brésil.
Les quarante-cinq pour cent de Français qui n’ont rien à
cirer du foot avaient connu un répit d’un mois. Ils en gardèrent un souvenir
ému. Un mois de paix, c’est toujours bon à prendre en nos temps troublés…