On joue de plus en plus. Exceptionnellement un heureux
gagnant empoche des sommes pharamineuses, alimentant ainsi les rêves de
millions d’autres. Chacun s’imagine, sans vraiment y compter, millionnaire,
voire même multi. Tel arrêtera de travailler, tel autre se paiera la voiture,
la maison, les voyages de ses rêves, les plus altruistes feront le bonheur de
leurs proches (comme si ce n’était pas auxdits proche de s’y atteler eux-mêmes)…
Le gain au jeu semble à certains l’unique planche de salut, voire la clé du
bonheur. Ça me laisse pantois.
Un gros paquet de pognon qui me tomberait sur la tête à l’improviste
comme fiente de mouette en bord de mer me semblerait une source d’ennuis plus
qu’une issue de secours donnant sur la félicité. J’en serais d’autant plus perturbé que je ne
joue jamais. Et puis il me semble que les sommes gagnées, quelles qu’elles
soient, sont toujours largement insuffisantes. Il n’y a qu’à voir le sort des
malheureux milliardaires : bien qu’ils possèdent des milliers de millions (généralement
de manière virtuelle vu que leur fortune est évaluée en fonction du cours des
actions de leur(s) société (s) lequel peut, ça s’est vu, s’effondrer), ils
semblent ne jamais en avoir assez. Alors le gagnant du « My million »
(appellation ridicule, soit dit en passant), avec ses mille smics, il fait un
peu pitié. Une fois payées la Bentley Continental et la vaste villa, il risque
fort de se retrouver incapable d’en assumer l’entretien. Tout ce qu’on peut lui
souhaiter, c’est d’avoir des goûts simples, de se contenter de la nouvelle Clio
avec quelques options et d’un pavillon Phénix ce qui lui éviterait une prompte
faillite. Ne l’oublions jamais : l’argent est une affaire de riches !
De ce curieux vice, duquel je suis totalement exempt, j’ai
pu observer les effets chez un proche. En son grand âge, mon père fut saisi par
le démon du jeu. Je ne sais pas trop comment l’idée lui en est venue, mais il s’est
mis à passer plusieurs soirées par semaine au casino de Perros-Guirec. Il fit
au début quelques gains plus ou moins conséquents mais ensuite il laissa à cet
établissement de quoi se rembourser largement. Après sa mort, rangeant les
papiers, nous pûmes voir que ses petites virées lui avaient coûté un bras. Bras
que sa prudence financière (Ô qu’en termes galants !) lui eût interdit de
se couper pour tout autre cause, bonne ou mauvaise. Le plus curieux était que cet homme par
ailleurs roué et calculateur croyait réellement qu’il allait gagner. Comme si c’était
possible. Je pense qu’il ne se posait même pas la question de savoir à quoi lui
serviraient ses éventuels gains, sa situation financière le mettant à l’abri du
besoin… Son comportement me rappelait celui d’un copain anglais alcoolique qui,
l’heure d’ouverture des pubs venue, se mettait fébrilement à chercher un quelconque
prétexte de sortie afin de s’aller copieusement abreuver. De même, quand nous
lui rendions visite, lui venait-il soudain l’envie de nous payer le restaurant :
on pourrait par exemple se rendre à celui du Casino, surtout que ces braves
gens lui avaient offert un apéro gratuit pour quatre personnes... Il arrivait
également que cette urgence le prît après un dîner bien arrosé qu’avait précédé
un copieux apéro (on est Breton ou on ne l’est pas !). Comme à la fin il
ne conduisait plus, il me proposait d’aller prendre le Champagne ou le digeo au
bar du Casino. Je lui conseillais d’appeler un taxi, peu anxieux que j’étais de
me faire annuler le permis. Mais pour le taxi, point d’argent. Ma compagne,
restée sobre se dévouait pour conduire et emmenait père, fils et simple d’esprit
(sa concubine qui n’était pas une flèche partageait son penchant) faire
chauffer la carte bleue. Même imbibé, ces soirées m’ennuyaient à mourir. C’était
une BA…
Quand j’y repense, je me dis que, comme me l’avait si sagement
affirmé une vieille Anglaise, dans la vie, il faut avoir au moins un vice. Si
ces coûteux moments parvenaient à délivrer un vieil homme malade de l’angoisse que
faisait sourdre en lui la conscience de sa progressive déchéance, pourquoi s’en
serait-il privé ? Pendant qu’il
pestait contre ces avares machines qui l’avaient dépouillé, quand il partait,
quelques jours plus tard, avec la certitude de se refaire, vers une nouvelle
défaite, il était sinon heureux, du moins distrait…