Je termine En territoire ennemi, le beau livre de M. Didier Goux. Si j’ai mis tant de temps à le lire, c’est que c’est plus un livre de chevet dont on lit avec plaisir quelques pages avant de s’endormir d’un sommeil apaisé qu’un thriller que l’impatience pousse à dévorer afin d’en connaître le dénouement. C’est un ouvrage qui se déguste, qui se sirote doucement, comme un cognac hors d’âge. Pour ceux qui l’ignoreraient encore, il s’agit d’un recueil de billets de ce blog sans lequel la réacosphère perdrait en style comme en narquoise profondeur.
Faire l’inventaire des sujets traités serait impossible. Il
en va de ce livre comme de la Grèce de Kharlampy Spiridonovitch Dymba, personnage
de La
Noce, farce en un acte de Tchékhov, à
qui le maître de maison tente vainement de faire avouer que certaines choses ne se
voient pas en son pays : on y trouve TOUT. Du moins, tout ce qui compte.
Vous aimez qu’on évoque les cocus, les zombis, les clowns, les gitanes, la
lettre X, les morts, le désert, les guillemets, les discours, l’adjectif, le
kebab, le communisme, les médecins ? C’est votre livre ! Vous aimez la musique,
les films, les romans ? C’est votre livre ! Vous ne tombez pas raide d’admiration dès qu’un
« progressiste » émet une ânerie ? C’est votre livre ! Vous pensez que
tout n’était pas pire avant ? C’est votre livre !
Il ne suffit pas cependant de traiter des sujets qui
réjouissent l’âme réactionnaire, encore faut-il le faire avec talent. Et de talent,
M. Goux est éminemment pourvu : un style impeccable au service d’une
langue alerte, riche et sure, un humour léger, un flair infaillible pour dénicher le ridicule d’un discours ou d’une situation, une
vaste culture, une sensibilité que tente maladroitement de masquer un cynisme
affecté sont, entre autres, les ingrédients qui concourent à son excellence.
On n’est pas obligé de partager l’idée, pas toujours subliminale,
qui sous-tend ces textes à savoir que
nous vivons les derniers instants d’une civilisation moribonde. Ou que tout
était mieux avant. Le regard que Didier Goux pose sur notre temps est souvent
nostalgique, rarement, et c’est là un euphémisme, optimiste quant à l’avenir mais il
est lucide et l’humour vient toujours tempérer l’amertume de son constat. Plus
que désespéré, M. Goux est désabusé : il se refuse à prendre pour argent comptant la fausse-monnaie
« modernoeuse » qu’on essaie abusivement de nous fourguer à longueur
d’ondes, d’images et de discours. On ne saurait lui en vouloir…
Je conseillerai donc ce livre à tout lecteur lucide.
Je n’irai pas jusqu’à prôner sa lecture aux
progressistes rabiques que trop de préjugés font condamner toute voix
discordante dans un concert qu’ils ne supportent qu’unanime…