Voici le mois de mai où les fleurs volent au vent et les
ponts se suivent. A propos de fleurs, à ceux qui n’en auraient pas, j’offre ce
muguet qui s'épanouit dans mon jardin :
Mais revenons à nos ponts. Quoi de plus agréable que quatre
jours de congé consécutifs pour le travailleur qui contre vents, marées et
propagandes diverses, se refuse à trouver en son labeur une source de joies
ineffables et d’accomplissement personnel ? J’avoue les avoir appréciés, sans pour autant
les attendre. Ce que j’attendais mes dernières années de labeur durant, c’était
le grand pont, celui qui mène de l’esclavage à la mort et que l’on nomme
retraite. Je n’avais qu’une crainte : ne pas aborder ce rivage tant
désiré. Car, d’abord confusément puis de manière plus nette, depuis quelques
années, j’avais l’impression d’avoir de tout temps été fait pour la vie de
rentier.
Il y a moins d’un an, parut un ouvrage nommé L’année
du phénix qui traitait de la première année de retraite. Comme le titre
le suggère, cette période y était présentée comme celle d’une résurrection comparable à celle qu’était
censé connaître l’oiseau mythique après qu’il se fut consumé sous l’effet de sa
propre chaleur. Y étaient évoqués les affres éprouvées par le néo-retraité du
pot de départ au vertige ressenti face à tant de temps libre. Eh bien, je dois
avouer à ma courte honte, n’avoir rien ressenti de tout cela. J’entends déjà
les rieurs arguer qu’entre la vie d’enseignant et celle d’un oisif, il y
a si peu de différence que la transition se fait sans problème. Je ne saurais
être d’accord. Même si ce n’est grosso-modo qu’un jour de l’année sur deux, il
faut tout de même se lever tôt afin de
respecter les horaires, s’intégrer tant bien que mal à une équipe, conduire
vers son lieu de servitude qu’il neige pleuve ou vente alors que le jour n’est
point encore levé. Toutes choses qui, sans aller jusqu’à l’horreur, faisaient
monter en moi un pénible sentiment d’ennui. En être affranchi ne me gêna donc nullement.
Le temps libre, j’en rêvais et sa venue fut à la hauteur de
mes attentes. Plus de contraintes, qu’elles soient horaires ou sociales ! Contrairement à bien des gens, je ne connus
aucune difficulté à me trouver coupé du monde actif : je fréquentais peu
mes collègues et n’ayant jamais été amateur de la soi-disant reconnaissance
sociale qu’apporte un statut professionnel, si humble soit-il, leur disparition
plus qu’ablation fut délivrance. D’autre part, ayant quitté la région où,
presque vingt ans durant, j’avais exercé, je ne souffris pas non plus du
changement de lieu : j’avais trouvé celui qu’il me fallait. Sauf
enneigement excessif (et encore !) j’y
venais passer tout mon temps libre. Y être à demeure m’évita de longs et
ennuyeux trajets. En dehors de ma compagne à temps partiel, je n’y ai avec
quelques voisins ou commerçants que de brefs échanges courtois.
Cette « solitude » spatiale autant que sociale me
convient parfaitement. Je ne saurais m’y ennuyer, sauf un peu quand plusieurs
mois de pluie consécutifs viennent perturber mes projets de bricolage ou de
jardinage. J’ai ma routine matinale : mots croisés, écriture et lecture de
billets de blogs occupent ce moment de « réconciliation avec la vie »
qui suit mon réveil bien plus agréablement que ne le faisaient des trajets
routiers hivernaux sur des routes parfois
gelées tandis que les phares m’éblouissaient. Ensuite je m’assigne des tâches
qu’en général je n’ai pas le temps de réaliser. Il arrive même que je ne m’en impose aucune et qu’entre le Net et quelque lecture le temps passe avec une
discrétion qui me le fait oublier. Vient
le soir où quelques whiskies anteprandriaux viennent me récompenser des exploits du jour
avant que les programmes ne me dissuadent d’allumer le téléviseur.
Il ne s’agit pas là d’une quelconque sagesse ou d’une
recette infaillible de félicité oisive. Beaucoup ont besoin des bruits et des
commodités de la ville. Comme le fait mon frère aîné, ancien prof de maths,
certains ont besoin des contacts qu’apporte l’appartenance à diverses
associations au point de continuer une vie de contraintes rythmées par les
vacances scolaires… A chacun son chemin de bonheur.