Ce XIe commandement vient d’être réaffirmé haut et fort par M.
Philippe Bilger, ancien magistrat, qui sait de quoi il parle. Selon cet
homme sage et de sens rassis (et non moisi bien qu’on le classe à droite), qui
réagissait aux propos de certains politiciens de droite, « Lorsqu'on est
un responsable politique, et que l'on dit, de manière aussi sommaire et
péremptoire, qu'on n'a plus confiance dans la justice de son pays, on chauffe à
blanc l'opinion publique, dans une sorte de populisme vulgaire contre les
magistrats. C'est un comportement incendiaire. ». Ainsi M. Guaino
apparaît-il comme un irresponsable boutefeu.
Mouais… Il me semble
que l’ancien procureur général accorde aux propos d’un politicien des pouvoirs
qu’ils n’ont pas. Supposons qu’au lieu de s’exprimer sur
je-ne-sais-quel-improbable-acharnement-judiciaire-concernant-un–quelconque-ex-président-de-la-République-Française, M. Guaino ait déclaré ne plus faire confiance aux géographes qui déclarent
la terre plus ou moins sphérique quand celle-ci est évidemment cubique (ce qui
expliquerait le taux inquiétant de poissons-chats dans l’atmosphère). Qu’aurait-on
dit ? L’aurait-on accusé de discréditer une profession honorable ou bien aurait-on
pensé que le père Yves commençait à bougrement yoyoter de la touffe ? Car
pour que des déclarations trouvent un quelconque écho (en admettant que ceux
que M. Bilger dénoncent en rencontrent), encore faut-il que ceux qui les
entendent leur accordent un minimum de crédit.
D’ailleurs le journaliste qui l’interviewait, rappela que l’enquête
IPSOS de janvier 2014 avait révélé que seuls 4 % des Français faisaient
totalement confiance à la justice (42 autres pour cent lui faisaient « plutôt
confiance », ce qui est « plutôt amusant », car comment peut-on faire partiellement confiance à des
gens qui ont le pouvoir de vous envoyer aux galères ?). M. Bilger expliqua
qu’il y avait plusieurs causes à ce regrettable constat : les
magistrats qui ne cessaient de se plaindre de leur manque de moyens, quelques rares affaires (Outreau, par exemple)
où la justice s’était montrée approximative mais qu’à part ça tout irait très
bien pour la marquise dansles meilleures ruines de châteaux
possibles si les politiques évitaient les « critiques lamentables »
et les media cessaient d’être « moroses » et « pessimistes »
sur la question. Hélas il ne fut pas écouté car, s’entêtant dans le pessimisme
morose qui caractérise sa profession, le journaliste lui demanda si « le
fameux "mur des cons" du Syndicat de la magistrature [n’avait]
pas joué un rôle, lui aussi, dans le débat sur la politisation de la
justice ? ». Le magistrat ne
put que reconnaître les « conséquences dévastatrices » de l’incident
(montrant ainsi un goût affirmé pour la dévastation, vu qu’il avait accolé ce
même adjectif aux critiques de MM Guéant et consorts).
Tout ça est bel et bon, mais peut-on vraiment en vouloir à un responsable
politique de se méfier, ne serait-ce qu’un tout petit bout de commencement de
peu d’une institution qui ne craint pas d’afficher sa franche hostilité à sa
tendance politique ? Devrait-il par principe, faire semblant de ne rien
voir ni entendre et s’efforcer de ne rien dire alors que la défiance de ceux qu’il
est censé représenter va croissante ?
M. Bilger, pour défendre la raison d’état et aussi par corporatisme
voudrait que l’on respectât une institution quoi qu’elle fasse. Ne serait-il
pas préférable que celle-ci reconquière une respectabilité largement entamée en faisant un
peu le ménage parmi ses rangs ? Seulement, les juges, sauf faute gravissime
me semble-t-il, sont inamovibles et vu
que leurs éventuelles manquements seraient jugés par leurs pairs, on ne voit
pas comment ni pourquoi les « juges rouges » pourraient être amenés à
calmer leurs ardeurs. On a laissé le ver pénétrer le fruit, à part obserber jusqu’où
ses dégâts s’étendront, il n’y a pas grand-chose à faire…