Je ne suis pas resté fidèle à ma jeunesse. Et elle me l’a
bien rendu en foutant le camp… Idées, amis, amours, chanteurs, chanteuses,
auteurs, j’ai tout oublié de mes passions juvéniles. Sauf une : Georges Brassens.
De ce temps lointain il est le seul à surnager quand tant
ont, à mes yeux, fait naufrage. Brel, Brassens Barbara, tel était le trio
quasi-obligatoire du petit bourgeois adolescent des années soixante. Plus tard
sont venus s’ajouter Ferré et Leonard Cohen. Brel me fatigue, je trouve Barbara
kitsch en diable, Léo d’une lassante grandiloquence gauchiarde et Cohen
indispensable à toute suicide-party.
Reste M. Brassens. Oh, pas tout. Mais tant ! La rencontre est bien ancienne. Deux cousins
plus âgés me le firent connaître dès les années cinquante. Pour eux, c’était
une célébrité locale. François était de Lanvollon (Côtes d’Armor), Bernard
habitait rue de l’Ouest, dans le XIVe. S’étant établi chez nous lors d’un stage
à Paris, le premier écoutait ses premiers disques en boucle…
Si le côté anar, paillard fut ce qui enchanta mon
adolescence, le temps maintint intact l’émotion d’autres textes tout empreints
d’humanité comme Les beaux assassinats,
La marche nuptiale ou Jeanne.
Je retrouvais mon pacifisme dans La Guerre de 14-18 ou Les Deux oncles… La liste n’est pas
exhaustive, loin de là…
Et puis, il y a
quelques jours au hasard d’un lien sur facebook, je suis tombé sur ce
documentaire évoquant la curieuse relation entre la Jeanne et Brassens,
relation d’abord amoureuse entre un jeune homme d’un peu plus de vingt ans et
une femme de trente ans son aînée, se transformant au fil des années en amitié
jalouse (de la part de Jeanne) et fidèle (réciproquement) puisqu’il continua d’habiter
le taudis de l’impasse Florimont plus de dix ans après avoir rencontré le
succès. J’en fus profondément ému. J’avais entendu parler de jeanne Le Bonniec
bien avant, je savais qu’elle l’avait recueilli et que L’Auvergnat était dédié
à son ivrogne de mari, mais j’ignorais la nature insolite de leur longue relation. Cela m’a rendu encore plus sensible au magnifique
hommage que Brassens lui rendit en 1962 et dont les paroles suivent (si vous souhaitez
l’entendre, c’est ici) :
Chez Jeanne, la
Jeanne,
Son auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu,
On pourrait l'appeler l'auberge du Bon Dieu
S'il n'en existait déjà une,
La dernière où l'on peut entrer
Sans frapper, sans montrer patte blanche...
Son auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu,
On pourrait l'appeler l'auberge du Bon Dieu
S'il n'en existait déjà une,
La dernière où l'on peut entrer
Sans frapper, sans montrer patte blanche...
Chez Jeanne, la Jeanne,
On est n'importe qui, on vient n'importe quand,
Et, comme par miracle, par enchantement,
On fait parti' de la famille,
Dans son cœur, en s' poussant un peu,
Reste encore une petite place...
La Jeanne, la Jeanne,
Elle est pauvre et sa table est souvent mal servie,
Mais le peu qu'on y trouve assouvit pour la vie,
Par la façon qu'elle le donne,
Son pain ressemble à du gâteau
Et son eau à du vin comm' deux gouttes d'eau...
La Jeanne, la Jeanne,
On la pai' quand on peut des prix mirobolants
Un baiser sur son front ou sur ses cheveux blancs,
Un semblant d'accord de guitare,
L'adresse d'un chat échaudé
Ou d'un chien tout crotté comm' pourboire...
La Jeanne, la Jeanne,
Dans ses rose' et ses choux n'a pas trouvé d'enfant,
Qu'on aime et qu'on défend contre les quatre vents,
Et qu'on accroche à son corsage,
Et qu'on arrose avec son lait...
D'autres qu'elle en seraient tout' chagrines...
Mais Jeanne, la Jeanne,
Ne s'en souci' pas plus que de colin-tampon,
Etre mère de trois poulpiquets, à quoi bon
Quand elle est mère universelle,
Quand tous les enfants de la terre,
De la mer et du ciel sont à elle...