L’autre jour après avoir mis sur le compte d’un apéritif de la veille un
peu copieux le manque d’énergie que révélait ma voix, ma fille me conseilla de
prendre un verre pour arranger ça. Je lui répondis qu’en effet, pour reprendre
du poil de la bête…
Pour moi, cette
expression qui veut couramment dire « aller mieux après avoir été malade »
a été contaminée par son équivalent anglais « To have a hair of the dog
that bit you », qui signifie littéralement « prendre un poil du chien
qui vous a mordu » et dont le sens courant est « prendre un verre de
ce qu’on a trop bu la veille (afin d’en palier les effets) ». C’est alors
que ma fille utilisa une expression appropriée que je ne connaissais pas « Un
p’tit coup pour r’mett’ le facteur sul’vélo ». J’en fus ravi ! Les facteurs ne vont plus à vélo, ils ne s’arrêtent
plus tous les trois quatre maison pour se désaltérer mais filent au volant de
leur voiture et leurs haltes chez les vieilles personnes isolées sont devenues un
service facturé par la poste.
L’ « alcoolisme mondain » du facteur rural appartient
donc au passé. Le préposé actuel devra
donc trouver un autre prétexte que la cirrhose pour quitter cette vallée de
larmes. Mais je crains qu’il ne soit pas le seul à évoluer vers une vie plus
aseptisée et qu’une autre victime de la vie moderne ne soit le langage
populaire. Si le bon Malherbe, lorsqu’il
conseillait d’écrire une poésie compréhensible par les crocheteurs du port au Foin,
n’allait pas jusqu’à dire qu’il fallait employer leur langage, plus tard d’autres
ont emprunté au langage populaire des expressions colorées et vigoureuses. Car
le peuple avait une langue vivace et riche.
Je me souviendrai toujours de ma logeuse, la bonne Mme
Plateau, ancienne fermière dans le Perche, me disant alors que je lui parlais,
voilà plus de quarante ans, de je ne
sais plus quel politicien : « Ah, ça, on peut dire qu’il parle mieux
qu’un lièvre » et terminant par
cette réserve : « mais il court pas si vite ! ». De tels
petits bijoux rencontrés autant à la campagne qu’en ville, je fais la
collection et la trouvaille d’un nouveau me réjouit profondément.
Étant né et ayant grandi en banlieue parisienne, ma récolte
fut d’emblée fructueuse. Le « titi » gouailleur était alors espèce commune. Existe-t-il encore ?
Quand on voit ce qu’est devenue la population banlieusarde, quand on l’entend s’exprimer on est en droit de s’interroger sur sa survie
et sur la richesse du langage faubourien…
Faudra-t-il, dans ce domaine encore, parler de la France d’avant ?