De temps à autre me prend l’envie de me renseigner sur tel
ou tel sujet. Aux temps pré-informatiques, je le faisais à l’aide de mon
dictionnaire encyclopédique. Un article menant à un autre, je suivais les
Turco-Mongols au gré de l’expansion de leur immense empire, ou les multiples ramifications
de telle ou telle famille d’hyménoptères… Passe-temps innocent ! Depuis
une quinzaine d’années, c’est sur le net que de lien en lien je pars à l’aventure.
Un voyage en Sicile, il y a plus de dix ans déjà m’avait sensibilisé à la
destinée prodigieuse de la famille de Hauteville partie d’un obscur fief
normand à la conquête d’un royaume. M’installant progressivement dans le beau
département de la Manche, je visitai un peu plus tard le village de Hauteville-la-Guichard
supposé être le berceau de la remarquable fratrie que composèrent les onze
fils de Tancrède qui, « comme un vol de gerfauts hors du charnier natal »
allèrent tenter leur chance dans le Sud de l’Italie puis en Sicile avec le
succès que l’on sait.
Mes « recherches » m’amenèrent de fil en aiguille
à suivre Bohémond de Hauteville, prince de Tarente qui s’empara d’Antioche et se
tailla une principauté aux alentours avant que, fait prisonnier par l’émir de
Sivas, son neveu Tancrède, devenu prince de Galilée, ne s’en vit confier la
régence. Retracer les péripéties que connurent Bohémond, Tancrède et leurs
descendants ou alliés, les rivalités de clans entre croisés, les brusques
renversements d’alliances, serait œuvre de Bénédictin. Toujours est-il qu’en
suivant leurs traces, j’en vins à rencontrer un personnage encore plus étonnant
par ses « exploits » : Renaud de Châtillon qui devint en 1153 le
second époux de Constance, princesse régente d’Antioche et petite fille de
Bohémond.
Dire que le désir de protéger la Terre Sainte des musulmans
fut le seul ressort qui anima ce cadet sans fortune serait sans doute exagéré.
Car le bougre se montra tout au long des soixante-sept ans de son existence d’une
rapacité et d’une cruauté insignes. De plus, il avait mauvais caractère :
apprenant que le patriarche d’Antioche, Aimery de Limoges avait médit de lui,
il le fit jeter en prison et torturer avant de l’exposer en plein soleil, enchainé
et ses blessures enduites de miel afin qu’elles attirassent les insectes. Gageons
que cela encouragea ses éventuels détracteurs à mesurer leurs paroles…
Afin de se rembourser des sommes qu’il estimait lui être dues par le basileus Manuel 1er
Comnène, il s’en alla razzier l’île de Chypre et avec ses troupes s’y livra à
de multiples « incivilités » comme le viol, la prise d’otages, les
exécutions sommaires et pour couronner le tout, ayant rassemblé prêtres et
moines grecs, il leur fit couper le nez avant de les renvoyer à Constantinople.
Ses débiteurs durent y voir un encouragement à honorer leurs obligations…
Toutefois, le basileus ayant repris du poil de la bête et
menaçant Antioche, le brave Renaud jugea judicieux, quelques années plus tard, d’aller implorer,
la corde au cou, le pardon de ses errances cypriotes. Bon prince, l’empereur le
lui accorda.
Hélas, un triste jour de novembre 1160, alors qu’il se
livrait à quelque innocent pillage, des soldats turcs le firent prisonnier. Sa
captivité dura seize ans. On ne sait si sa libération fut due à un échange de
prisonniers ou au versement d’une rançon de roi…
Revenu à Jérusalem, notre héros, toujours gaillard mais non
assagi, devenu veuf durant sa captivité, épousera en sa cinquantaine finissante une jeune dame dont l’alliance
fera de lui le seigneur consort d’Outre-Jourdain et d’Hébron. Pour se délasser
il pillera en 1181 une caravane se rendant à la Mecque. Cette nouvelle
espièglerie irritera fort Saladin car elle eut lieu alors que ce dernier avait
signé une trêve avec le Roi Beaudouin IV de Jérusalem. On dit même que c’est à
cette occasion que l’irritable souverain ayyoubide jura de le tuer de ses
propres mains. Toutefois, l’influence de Renaud à la cour de Baudouin et son
ascendance sur le roi étaient telles qu’il ne pâtit aucunement de cette
peccadille.
Les années suivantes le verront dévaster les côtes du
Hedjaz, couler un bateau de pèlerins se rendant à La Mecque, et accessoirement
piller une caravane reliant l’Égypte à Damas. La routine, quoi. Seulement,
cette routine finit par agacer Saladin dont nous avons déjà pu noter le
tempérament irascible. La trêve sera rompue, la guerre déclarée au royaume de
Jérusalem et les Francs défaits à la bataille de Hattin, le 4 juillet 1187. Fait
prisonnier, Renaud sera alors immédiatement décapité d’un coup de sabre par Saladin lui-même lequel se montra
ainsi homme de parole sinon de miséricorde.
Y a-t-il une morale à cette histoire ? Faut-il considérer l’histoire d’un point de
vue moral ? Je vous laisse le soin de répondre à ces questions… Quoi qu’il en soit, la vie
aventureuse de Renaud si elle s’éloigne par bien des points de l’hagiographie n’en
demeure pas moins sinon exemplaire du moins révélatrice du fait qu’entre le
XIIe siècle finissant et le XXIe commençant le comportement des élites franques
s’est notablement modifié…