Des difficultés de traduire (renseignant au passage sur deux points peu connus de la civilisation cockney qui vous permettront de briller dans les salons )...
Le
dernier Robert Rankin m’est arrivé voici quelques jours et bien entendu
aussi vite déballé aussi vite entamée sa lecture. Afin de la faire un peu
durer, je l’alterne avec celle des chroniques littéraires que j’étais en train
de lire avec plaisir.
Un de mes rêves ayant jadis été d’apporter aux Français qui
les méritent les joies qu’occasionnent les hilarants romans de celui qui a créé
un genre dont il est le seul représentant, mélange d’ésotérisme, de
science-fiction victorienne et de fantasy moderne le tout parsemé de running jokes et de plaisanteries de
garçon de bains. Aussi le lis-je en m’efforçant de trouver des équivalents
français à certaines expressions. J’en prendrais deux exemples.
Un des personnage demande à son interlocuteur : « are
you having a gi-raffe ? » ce qui laisse ce dernier pour le moins
perplexe. Cette phrase ne veut strictement rien dire, sauf à savoir que le
personnage étant un cockney (Londonnien de l’East End normalement né dans à
portée d’oreille des cloches de l’église de Bow) il s’agit de rhyming slang. Cet argot rimé fonctionne
ainsi : on remplace le nom commun anglais (ou argotique, ce qui n’arrange
rien) par un couple de noms communs ou propres dont le deuxième rime avec le
mot remplacé. Des exemple peut-être ?
Apples and pears (pommes et poires)
= stairs (escalier) ; saucepan lid (couvercle de casserole) = quid (Livre
sterling en parler populaire). Ainsi gi-raffe
rimant avec laugh (rire et ici moquerie) l’expression veut-elle dire « Vous
vous moquez de moi ? ».
Vu que l’argot rimé n’existe pas en notre langue, comment rendre
cette situation ? On pourrait passer au louchébèm mais vu que
le personnage n’est pas boucher et qu’il serait curieux qu’un cockney le
pratique, on trahirait grossièrement.
Autre problème. Le roman raconte les aventures d’un singe
parlant (et écrivant vu qu’il s’agit d’une autobiographie) nommé Darwin qui
poursuit à travers les époques en compagnie du détective Cameron Bell un redoutable criminel lui aussi doté d’une
machine à voyager dans le temps et dont le but n’est pas seulement de devenir
le maître du monde (ambition somme toute assez commune) mais de TOUS les mondes
et de tous les temps. Ce super-méchant a l’intention de devenir « Pearly
emperor » (vu que les Cockneys ont leurs « Pearly kings »). Un «Empereur
nacré » ? Des « rois nacrés » ? On consulte son Harrap’s French Dictionnary ,
Unabridged edition, et l’on apprend qu’un « pearly king (ou queen )»
exerce la noble profession de marchand des quatre saisons avec la particularité
notable de porter des vêtements ornés d’une multitude de boutons de nacre.
Voici à quoi ça peut ressembler :
Et si ça s’arrêtait là ! Mais pour tout arranger, à la fin du XIXe siècle , un balayeur nommé
Henry Croft qui s’était donné pour mission d’aider son prochain en collectant
des fonds pour plus pauvre que lui, eut l’idée de copier le costume des
marchands ambulants afin de mieux attirer l’attention et les aumônes . Son
exemple fut suivi et, en 1902 apparut la première société de « Pearly
kings and queens » quêtant en faveur de bonnes œuvres vêtus de costumes
inspirés de celui du précurseur. Ces sociétés perdurèrent et se divisèrent au
fil des conflits. Voici la photo de groupe de l’une d’elle :
Noice an' original, init mate ? (Restons cockney !) |
Tout ça est bel et bon, mais pour revenir à notre « Pearly
Emperor », comment le traduire ? Impossible, non ? Au niveau des
connotations, « l’empereur nacré » ne renverrait ni aux marchands des
quatre saisons ni aux sociétés charitables quant à « super-marchand des
quatre saisons » à part être ridicule…
Le traducteur sera donc contraint d’inventer un nom au
monstre, lequel ne sera au mieux porteur que d’une partie des connotations
originales. Sa trahison aura-t-elle la même force que le terme Rankinien ?
On peut en douter…
Décidément la paronomase italienne qui m’a servi de titre
est on ne peut plus vraie : traduire c’est trahir. Mais puisque c’est le
prix qu’il faut payer pour rendre accessible à ceux qui ignorent telle ou telle
langue une œuvre inconnue, souhaitons
que de talentueux traitres continuent de tricher.
ULTIME PRÉCISION : Pour ajouter à la complexité du rhyming slang, il arrive, lorsque aucune ambiguïté n'est possible, on fasse sauter le second mot. Exemple : Butcher's hook (croc de boucher) = look (coup d'oeil). On fait sauter hook et on obtient : Let's have a butcher's = Let's have a look = jetons un coup d’œil.
ULTIME PRÉCISION : Pour ajouter à la complexité du rhyming slang, il arrive, lorsque aucune ambiguïté n'est possible, on fasse sauter le second mot. Exemple : Butcher's hook (croc de boucher) = look (coup d'oeil). On fait sauter hook et on obtient : Let's have a butcher's = Let's have a look = jetons un coup d’œil.