C’est le genre de chose qu’on évoque avec une crainte mêlée
d’espoir dans les milieux qui s’autorisent. Faute de voir se produire le mai 68 qu’on nous
promet chaque année en tout saison, si cette année on en avait un, on lui
pardonnerait d’être à l’envers, comme la culotte du bon roi Dagobert.
(Fa)Chaud, (Fa) chaud, (Fa) chaud, le printemps sera (Fa) chaud ! fantasment déjà certains ! Pour ceux
chez qui la crainte l’emporte, un mai 68 à l’envers, ça s’appelle un 6 février
34. C’est plus court et moins chaud. Seulement l’histoire ne se répète pas.
La France de 2013 n’est pas celle de 1968 et encore moins
celle de 1934. Laissons de côté cette
dernière date : les jeunes activistes de l’époque voguent vers leur
centenaire quand ils ne l’ont pas dépassé. Quant aux vétérans de 14-18…
On reste donc avec soixante huit et son fameux mai. Notons
quelques éléments caractéristiques de l’époque. La liste ne sera pas
exhaustive. Une jeunesse nombreuse et homogène suite au baby boom. Le plein
emploi. Plus de vingt années consécutives de croissance forte. A la tête de l’état,
un général vieillissant, « sauveur de la Patrie ». Un parti communiste fort à environ 20% des voix. Une armée dont les
cadres, parmi lesquels le Général Massu commandant en chef des forces
françaises en Allemagne, ont connu les guerres coloniales.
Comparons avec 2013 : Une jeunesse proportionnellement
moins nombreuse et communautarisée suite
à l’immigration massive. 5 millions de plus ou moins chômeurs. Quarante ans de « crise » plus ou
moins violente. Un président qui a coulé la Corrèze avant que le hasard ne l’amène
à la présidence la plus rapidement impopulaire de l’histoire de la Ve. Un parti
communiste quasi disparu, un Front National à environ 20% des voix. Une armée
professionnelle aux effectifs en peau de chagrin.
Rien en commun. Je veux bien que les mêmes causes produisent
les mêmes effets, mais que des causes opposées
mènent à des conséquences similaires me
paraît pour le moins douteux.
Et d’ailleurs que s’est-il passé ? Des trublions ont
commencé en mars à faire le bazar à Nanterre avec l’indéboulonnable Kohn-Bendit
à leur tête. Peu à peu l’agitation s’est étendue aux universités et aux lycées
généralement peuplés d’enfants de petits bourgeois. Les ouvriers de base leur
ont emboité le pas. Les dirigeants communistes de la CGT n’ont pu que les
suivre. On a jeté des pavés, brûlé quelques voitures, des politiciens au
rencard sont allés offrir leurs services à Charletty. Le vieux général a pris
peur. Il est allé pleurer chez Massu qui
lui a remonté les bretelles et le moral en échange de la libération de ses
copains putschistes. De gaulle est revenu, assuré que les paras disposés autour
de Paris étaient derrière lui. Il a causé dans le poste. Suivit une grande
manif (la police étant aux ordres ne pinailla pas sur la participation), on fit
des accords à Grenelle, le boulot reprit et on vota. Plus de 58% des voix et de 80 % des sièges à
la droite aux législatives de la fin juin.
Vu comme ça, il ne s’est pas passé grand-chose en 68. Sauf
que des graines de contestation avaient été semées dans le sol fertile que
constituait cette jeunesse nombreuse qui étouffait dans le cadre idéologique
étroit de la France d’alors. A terme, ça
allait mener à bien des changements…
A l’envers, vous dites ? Si le mécontentement grandissant
amenait à ce que se produisent des troubles apparemment semblables à ceux qui
eurent lieu il y a de cela deux générations, ce à quoi ils mèneraient est
totalement imprévisible. Parce que TOUT a changé.