L’autre jour alors que je remettais en place Jane Eyre de Charlotte Brontë après que l’ennui m’eut fait renoncer à en
pousser plus avant la lecture, je tombai sur son voisin de rayonnage L’Énigme Georges Simenon de Fenton Bresler,
paru en 1985 chez Balland et me mis à le lire. Je viens de le terminer. Je l’avais
lu à la même époque que le Céline de
Bardèche dont j’ai parlé ici.
J’ai du mal à me souvenir de ce qui pouvait alors me pousser à lire ces biographies.
Peut-être que comme le pensait Sainte-Beuve, j’imaginais que la clé des œuvres se
trouvait dans la vie de leur auteur ? Aujourd’hui je me fous pas mal de savoir où
sont les clés, sauf celles de ma voiture faute desquelles je ne vais pas bien
loin. Ne serait-ce que parce que l’œuvre
est toujours supérieure à son auteur, si
ratée soit-elle. Qu’un homme ait sauvé
cent fois le monde ou passé sa vie à assouvir sa passion du bilboquet, qu’importe
s’il écrit bien ? Et s’il écrit mal ça ne change rien.
Simenon est pour moi un vieux compagnon. Je ne sais pourquoi j’ai commencé à le lire
en classe de sixième. Je me souviens même avoir oublié Les fiançailles de M. Hire sur un banc à Orsay alors que je l’avais
emprunté à la bibliothèque. Faute de le trouver en librairie j’avais du aller
jusqu’à l’entrepôt de l’éditeur pour pouvoir le remplacer à temps. Quelle aventure ! J’avais onze
ou douze ans et bien entendu je n’y comprenais rien. C’était un temps où je
lisais tout et n’importe quoi.
Plus tard, j’y suis revenu, lisant les Maigret comme les
autres romans. Évidemment, je ne me souviens de rien si ce n’est qu’au bout du
compte j’ai fini par abandonner ces lectures à cause du profond malaise qu’elles
suscitaient en moi. Jusqu’à une sorte de nausée. J’avais parfois l’impression
que Simenon parvenait à pénétrer les tréfonds de l’âme humaine et que ce n’était
pas si beau à voir. A moins que, comme à
l’auberge espagnole il n’y trouvât que ce qu’il y apportait. Je finis par opter
pour la seconde solution et me détachai de lui.
Ses dictées autobiographiques m’avaient mis la puce à l’oreille :
le personnage qu’il s’y construisait me semblait sans grand intérêt. Le livre
de Bresler n’arrangea probablement rien. Le portrait croquignolesque qu’en fait
Alphonse Boudard dans Cinoche (sous
le déguisement transparent de Ralph Galano, l’illustre et richissime peintre)
acheva de le détruire à mes yeux.
Ce qui me gênait le plus, c’était son approche du sexe :
plus qu’une fête, il apparaissait comme une fatalité furtive subie par une
femme résignée comme par un homme que
guide ses pulsions. C’est du moins l’impression
que j’en garde et qui n’aurait rien d’étonnant de la part de l’homme qui revendiqua avoir "possédé" 10 000
femmes (dont 8 000 prostituées)…
Cependant, pour qu’il y ait désamour, il fallait bien qu’il
y ait eu attirance d’abord. C’est
pourquoi je me demande s’il me faut ou non relire Simenon, si l’homme (bien) mûr
que je suis aujourd’hui portera sur l’œuvre un regard différent de celui qui
fut le sien jadis…