J’ai déjà
dit tout le bien que je pensais des riches. Le hasard a fait qu’hier au
soir, le sommeil tardant à venir, j’ai regardé un reportage de M. Harry
Roselmack sur ces personnages originaux. Pendant un certain temps, ce valeureux
homme de télévision s’est avec courage immergé dans leur monde. Il en avait choisi
trois de calibres différent. Car comme la pomme de terre, le navet ou l’huître,
le riche se calibre. En fonction du
nombre de millions dont il dispose.
Le petit, bien que le plus corpulent, pesait deux cent
millions. Il avait monté des fabriques de montres de luxe. Le moyen, calibré à
la louche à 500 millions était l’héritier d’une société pharmaceutique et
arrondissait les revenus de son vaste patrimoine immobilier en grenouillant
dans des marécages pas clairement définis. Le plus gros, lui, était d’une autre
classe : il fallait ajouter neuf zéros au chiffre des unités pour se faire
une idée de sa fortune sans qu’il nous fût dit sur quoi elle était au juste
basée.
Ces braves gens avaient pour point commun, outre d’être à l’abri
des fins de mois difficiles, de résider en Suisse : la fortune rend intransigeant
sur la qualité de l’air.
A part cela, ils étaient bien différents. L’horloger, agité
comme une queue de chien malgré son âge relativement avancé, semblait beaucoup s’occuper
de ses petites affaires. L’héritier pharmaceutique, s’il magouillait à partir
de ses six téléphones, aimait surtout faire la bringue avec des pétasses de
couleurs diverses. Quand au milliardaire, un Belge plus âgé, il semblait bien calme
et profiter douillettement de son voilier de quarante-cinq mètres en compagnie de son épouse rescapée d’un cancer.
Tous trois possédaient ou résidaient dans de vastes
demeures. Tous trois se déplaçaient en avion ou en hélicoptère. Tous trois
avaient une vie sociale très active.
Outre le peu d’intérêt que je trouve à entasser des
millions, ces trois points font que je détesterais être riche. J’aime les
petites maisons, mon vertige me fait redouter les transports aériens et je considère la
solitude comme un bien précieux.
Vous imaginez le temps qu’il me faudrait pour confectionner
de nouvelles portes aux nombreux garages abritant mes voitures de collection ?
Le martyre que serait pour moi de commencer la journée à Genève, d’aller d’un
coup d’avion faire un tour à Marrakech et de finir les tripes nouées d’angoisse
l’après-midi sur le tarmac de Nice ou la piste d’un
aérodrome privé ? Bien que bavard, que trouverais-je à la longue à dire
aux pétasses et autres parasites et amis sincères qui m’entoureraient en
permanence ?
Dieu merci, d’autres se dévouent et jouent ce rôle à ma
place, permettant aux marchands de systèmes de sécurité, aux pilotes de jets
privés et d’hélicoptères, aux chauffeurs de voitures de grande remise, aux
polisseurs de coques de yacht, aux équipages, au personnel de maison, aux
pétasses et à leur gigolos ainsi qu’à bien d’autres catégories de vivre plus ou
moins grassement. Et puis surtout, et n’est-ce pas là leur rôle principal, d’attirer
la haine des envieux qui s’imaginent que d’une société plus égalitaire serait bannie la misère.
Sans voir ses mérites reconnus, le riche fait vivre bien des
métiers et attise de salutaires haines qui masquent les côtés plus sombres
de la condition humaine. Tout ça en échanges de quelques centaines de millions
ou de quelques milliards dont il n’utilise vraiment qu’une infime partie.
Ceux à qui leur abnégation n’apparaît pas
clairement sont plus à plaindre qu’à blâmer.