Un des avantages de la vie à la campagne, c’est le silence. Quel
silence ? Il s’agit d’un silence
habité. Bien entendu il y a le chant des petits oiseaux, du coq matutinal et
des poules venant de poindre, celui des oies et le cacabement de la pintade, si
doux à nos oreilles quand elle est seule, si enivrant quand elles sont cent. Sans oublier les stridulations des grillons. Mais
il est d’autres chants. Ceux du tracteur, de la tronçonneuse, de la scie
circulaire, du taille-haie thermique, de la tondeuse et j’en oublie.
Aux bruits aviaires ou mécaniques s’en ajoutent d’autres.
Celui, insupportable à l’oreille de gôche, de l’angélus du soir ou du matin. Et
puis il y a, quand en vient la saison, l’appel
de la vache en chaleur qui s’approche en
harmonie du chant mélodieux de l’âne. Il y a sans cesse le meuglement des
vaches, l’aboiement des chiens et le bêlement des agneaux, brebis et
belins(comme on appelle ici le bélier).
Hier, tandis que je repiquais un cent de poireaux, se
déclencha un concert de bêlements comme on en
entend quand on sépare la mère de ses petits. Ça me paraissait
prématuré. Mais quand on a des poireaux
à repiquer, puis des choux à planter, on n’a pas le temps de contempler les
désastres qu’entraînent les désunions familiales. Je passai donc outre.
Ce n’est que ce matin que j’ai compris le pourquoi de ce
tapage diurne : tandis que je vaquais à mes occupations jardinières, les
brebis avaient été victimes d’un vol. L’infâme Raymond les avait tondues. Vous me
direz : à quoi sert un manteau de laine, bien imprégné de suint, quand le thermomètre affiche plus de vingt degrés ?
Ce sont questions de socialiste ! Ce que la brebis a amassé lui
appartient. Qu’elle en ait un besoin immédiat ou pas, sa toison est à la
brebis. Et il y a pire : imaginez l’humiliation
qu’il y a à se trouver privé de poil. Nos héros de 1944 l’avaient bien compris
quand, virils, ils tondaient les femmes ! La cacophonie, montée à je ne
sais combien de déci-bêles, a fini par se calmer.
Aurons-nous la même sagesse au lendemain de la tonte ?
L’avenir nous l’apprendra bientôt !