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C'est au bout de cette jolie rue que se trouvait mon école, fermée depuis. |
Mes diverses expériences éducatives m’ont amené à rencontrer
toutes sortes d’élèves. Vu de l’extérieur, avec les yeux d’un bisounours, ce
qui caractérise le jeune scolarisé c’est sa soif de réussite, de savoir, voire
même, pourquoi pas, d’apprendre.
Disons que cette soif n’est pas universelle. John fut pour moi un de ceux qui me parurent
le mieux dominer leur aspiration au savoir.
C’était au tout début des années 90, à Plaistow, dans la banlieue
Est de Londres. J’y menais une cure de repos après une période un rien agitée
de ma vie. Comment mieux se reposer qu’en étant prof de français dans une école
secondaire d’un quartier défavorisé ? On peut rêver meilleure solution, mais c’était la seule que
j’avais trouvée. On n’a pas toujours le choix.
Contrairement au reste du London Borough of Newham, il n’y
avait quasiment pas d’immigrés dans ce quartier. Il faut dire que les
autochtones qui l’habitaient avaient tendance, afin de rester entre eux à
rendre l’installation de familles allochtones difficile. Par exemple en
caillassant systématiquement les fenêtres des maisons de celles qui avaient l’audace
d’essayer. Certains élèves allaient jusqu’à refuser de travailler avec les
rares condisciples pakistanais qui fréquentaient l’école. Charmant ! Je les y contraignais pourtant.
Donc, un environnement de souchiens cockneys. Quitte à décevoir
certains, ça ne rendait pas la situation idéale, vu qu’il existait dans ce quartier
voisin des docks une solide réticence vis-à-vis
de l’école. Quant au français…
John, donc, était un bon petit gars. Qui n’aimait pas l’école.
Le fait que son père était en prison l’auréolait d’un certain prestige. Dans
les Docklands, le gangstérisme a tendance à passer pour une industrie parmi d’autres.
En fait c’était, malgré sa haute
taille, à 14 ans un « petit »
caïd. Après une première confrontation, nous avions fini par bien nous
entendre. Il ne perturbait pas mes cours, je ne perturbais qu’au minimum ses
rêveries. Tout allait bien. D’autant mieux que John se faisait rare, très rare
à l’école. Comme ses deux sœurs,
diaboliques jumelles identiques, qui se relayaient pour faire croire aux
professeurs qu’elles étaient toutes deux présentes, il avait un penchant très
marqué pour l’absentéisme. Il avait probablement mieux à faire.
Or donc, un matin voilà que John nous fait l’honneur, d’autant
plus insigne que rare, de sa présence. Il y avait bien un mois qu’on ne l’avait
vu. A quelles (plus ou moins) amicales pressions avait-il cédé, je l’ignore. J’avais
sa classe en première heure du matin. Tout se passa très bien jusqu’au moment
où, très calmement, il emprunta le cahier de son voisin, se leva, ouvrit ledit
cahier, y cracha un beau glaviot, le referma soigneusement, et le jeta par la
fenêtre qu’il avait préalablement
ouverte.
Je lui fis remarquer que son attitude n’était pas
acceptable. Il en convint volontiers. Je lui signifiai donc, qu’en dépit de
notre amitié, je me voyais contraint de l’envoyer à la direction dument
muni d’un mot narrant les détails de son
comportement incivil. Il reconnut le bien fondé de ma décision et partit, toujours jovial et accompagné d’un camarade,
pour le bureau de la sous-directrice. Il n’en revint pas.
A la pause du déjeuner, je demandai à la sous-directrice
comment s’était passé leur entretien. Elle me dit que, vue la gravité des
faits, elle s’était vue contrainte de le renvoyer de l’école pour une semaine.
John avait donc fait un sans faute : en une heure, il avait gagné huit
jours de vacances, en toute légalité cette fois. Il les prolongea, bien entendu…
Tout ça pour dire que, pour certains, on aura beau ouvrir
toutes les portes de toutes les écoles possibles, réduire les effectifs autant
qu’on voudra, ça ne changera pas grand-chose. Il est probable que ce brave John
aura placé ses pas dans les pas de son père…