J’ai connu X. par l’entremise d’un ami, lequel avait été son subordonné. En effet, du temps de sa splendeur, X. était responsable régional d’une chaîne de magasins qui avait le vent en poupe. Pour monter de nouveaux points de vente, il recrutait des jeunes comme mon copain et avec leur aide il aménageait les boutiques avant de les en nommer responsables. Ils ne comptaient pas leurs heures et répondaient toujours présent quand il s’agissait de donner un coup de main pour mettre en place un nouveau magasin. X. était toujours généreux et savait les distraire : on bossait dur mais la soirée se terminait en boîte et c’est lui qui payait. Son équipe était donc soudée par le travail et les virées nocturnes ; elle était aux petits soins pour son chef dont la région connaissait une expansion rapide. Grâce à cela, X. bénéficiait d’un salaire très confortable. Seulement, X. était dépensier, très dépensier et ses revenus ne lui suffisaient pas.
Où passait son argent ? Mystère. Pour ses proches comme pour sa femme. A part quelques paires de chaussures sur mesures qu’il disait dater du temps où une riche vieille l’avait pris sous son aile (les mauvaises langues racontaient qu’il l’avait ruinée et qu’il ne fréquentait pas que son dessous d’aile mais, si on les écoutait…), je n’ai jamais vu chez lui quoi que ce soit de valeur. Quel qu’en fût l’usage, X. manquait chroniquement de fonds. Pour s’en procurer, il utilisa une méthode simple autant que stupide : de temps à autres, il demandait, contre un chèque, du liquide à ses responsables de magasin. Comme ils n’avaient rien à lui refuser, ceux-ci s’exécutaient. D’autant plus volontiers que D. fermait les yeux sur les menues quoique multiples indélicatesses auxquelles ceux-ci se livraient pour arrondir leurs fins de mois.
Tout marchait comme sur des roulettes, sauf que D. ne remettait jamais de liquide dans les caisses et que celles-ci se trouvèrent vite dotées d’un fonds faramineux constitué de ses chèques. Ce qui finit par attirer l’attention du propriétaire de la chaîne. Le pot aux roses découvert, X. et sa petite équipe furent virés comme des malpropres. C’est dans un caca bien noir qu’il se retrouva avec sa petite famille. Ça faisait déjà quelques années que ça durait quand j’ai fait sa connaissance. Toujours poursuivi par des huissiers, il vivotait en étant videur de boîte le week-end tandis que sa femme gardait des enfants. Chez eux, tout était planqué par crainte d’éventuelles saisies.
Il me rendit des services de temps à autres et quand l’idée me vint de monter un réseau de dépôts-ventes de textile dans les épiceries rurales du département, le sachant excellent commercial, je lui confiai la mission de créer et de gérer ces dépôts. Evidemment, ça marcha très bien. Il avait une légère tendance à me rouler sur ses frais mais il faut bien que tout le monde vive…
Malheureusement, le reste de nos activités s’avérant de moins en moins rentable, le dépôt de bilan devint inévitable. Période pénible.
Un assureur avec qui j’avais sympathisé voulant m’aider me proposa un poste dans sa compagnie. Seulement je ne me sentis ni le goût ni l’énergie d’aller tirer des sonnettes le soir pour proposer des placements aux braves gens. Je refusai donc mais lui signalai connaître quelqu’un qui ferait son affaire. Il rencontra X., ils firent affaire ensemble.
Tout marcha très bien. X. se faisait de belles commissions, sa femme retrouva le sourire, le foyer renoua avec la prospérité. Jusqu’au jour où…
Même très vieux, même très gâteux, les gens n’en renoncent pas pour autant à mourir. C’est dommage mais c’est ainsi. Et qui dit décès dit héritiers. Ces gens-là sont curieux et avides. Il s’en trouva donc qui, fouillant dans quelque coffre en vue de vérifier si la réalité égalait leurs espérances, tombèrent sur de bien curieuses « valeurs ». Le pauvre X. n’avait pu y résister : au lieu de véritables bons anonymes, il était parvenu à refiler au défunt des spécimens de bons grossièrement falsifiés. Bien entendu, l’enquête qui suivit découvrit qu’il y avait d’autres victimes. La somme totale était relativement considérable. L’affaire fut logiquement étouffée car une compagnie ayant pignon sur rue rechigne, allez savoir pourquoi, à révéler que ses commerciaux puissent être des escrocs.
Sa femme, qui n’avait jamais vu la couleur d’un kopek détourné, jura pour la Nième fois que cette fois-ci était la dernière et la famille replongea.
Ce qui m’étonne, chez ce genre de personnages c’est qu’à moins d’être imbéciles, et ils ne le sont pas, ils devraient se douter qu’un jour ou l’autre leurs tristes magouilles seront éventées. Qu’est-ce qui peut bien, malgré cela, les pousser à se mettre dans la gueule du loup ? Si vous voyez une réponse, n’hésitez pas…