Ce courrier m’est arrivé il y a déjà quelques mois. Il semble aujourd’hui
que pour Nicolas le temps des hésitations soit passé et qu’il n’ait pas tenu
grand compte de mes conseils. L’avenir dira s’il a eu raison…
Cher Monsieur,
Je me trouve à ce qu’il faut bien appeler un tournant de mon existence
et j’hésite sur la direction à prendre. Vous sachant de bon conseil, j’aimerais
avoir votre avis sur la question qui se pose à moi.
Le C.V. ci-joint vous apprendra qu’après une ascension rapide au
service de mes concitoyens, j’ai été
appelé à remplir de hautes fonctions électives. Hélas, un concurrent, usant de
la calomnie et de promesses irréalistes, est parvenu à s’emparer d’un poste
qu’il s’est bien vite révélé totalement inapte à occuper. La réaction de la
population ne s’est pas fait attendre et il est vite devenu l’objet de la colère
et des railleries des braves gens. Il n’est plus guère soutenu que par une
poignée d’inconditionnels, laquelle continue de fondre comme neige au soleil
avec tous les dommages que cela entraîne pour sa fonction.
Mon sens du devoir comme l’amitié de mes nombreux partisans me poussent
à entrer de nouveau dans l’arène politique malgré la promesse solennelle que
j’avais faite à tous de ne plus m’en mêler. Prendre la tête de l’opposition
serait renoncer en partie à la vie confortable qu’un riche mariage me permet de
mener. D’un autre côté, l’oisiveté me pèse comme m’affligent les ravages
infligés au pays par la politique de mon successeur. Je dois également vous
signaler que certains de mes collaborateurs d’antan semblent vouloir me
remplacer dans un rôle que leur talent et leur inexpérience les rend incapables
de tenir.
Voilà où j’en suis. Devrais-je écouter la voix du devoir ou les sirènes
d’une vie paisible ? Tel est mon dilemme.
Cordialement,
Nicolas S.
Cher Nicolas,
Je comprends à quel point la
période que vous traversez peut être inconfortable. Un homme de votre énergie
ne saurait demeurer oisif. Sans que vous le disiez, on sent que se trouver
vivre aux crochets d’une femme si douce et aimante soit-elle, ne convient pas à
votre mental de chef. D’un autre côté, le souvenir d’une gloire passée peut,
comme le dit Don Diègue, s’avérer cruel. Êtes-vous certain que n’entre dans
votre désir de retourner à la vie publique aucun désir de revanche ? Que
ce soit ou non le cas, je ne saurais
trop vous déconseiller de regarder la vie dans le rétroviseur. Le passé étant
le passé, vous ne sauriez y trouver votre avenir.
N’existerait-il pas une troisième
voie sur laquelle vous engager qui vous permettrait d’éviter les vicissitudes
de la vie politique comme l’ennui d’un trop calme bonheur ? Je suis
persuadé que si vous vous trouviez un nouveau domaine d’activité votre talent
vous permettrait bien vite d’y exceller et ainsi de tirer un trait sur les
temps révolus. Un homme qui comme vous, ayant débuté comme simple cantonnier à
la commune de Saint-Julien-sur –Bouzine a été capable d’accéder au poste de garde-champêtre
avant d’en devenir le maire, ne saurait que réussir, quelle que soit l’activité
qu’il choisira.
Avec mon fervent soutien,
Jacques Étienne