L’interview de M. Cahuzac a fait beaucoup de bruit dans le Landerneau politico-médiatique. Je ne l’ai
pas écoutée tant l’affaire m’intéresse. D’après ce que j’en ai entendu, ce
brave homme aurait demandé pardon, se serait excusé, aurait exprimé des regrets
ou quelque chose comme ça. Eh bien personnellement je n’aime pas ça.
Voilà ce que M. Cahuzac aurait dit dire selon moi. « Si
j’avais quelque chose à regretter, c’est bien de m’être fait pincer. Mettez-vous
à ma place : vous avez touché un peu de monnaie pas forcément déclarée. Pas une fortune, mais suffisamment pour se
faire niquer par le fisc avec tous les inconvénients que ça implique. Qu’est-ce
que vous en faites ? Ben vous le planquez, non ? Alors moi, mes
quatre sous, je les envoie en Suisse et puis, prudent, je les déménage à
Singapour. Parce qu’il n’y a pas que le fric dans la vie. J’ai des ambitions,
voyez-vous. Politiques, qu’elles sont mes ambitions. Le pognon, c’est bien
beau, mais, quand on l’a, il vous manque encore le pouvoir. Et puis je suis
socialiste, quasi-crypto-communiste qu’il faut être dans ce parti, en public du
moins. Il y a l’opinion aussi, une bande d’envieux qui vous en veulent d’avoir
l’oseille qui d’après eux assurerait leur bonheur mesquin.
On me nomme président de la commission des finances. Bon, c’est
un strapontin, mais pas loin des bonnes places. Si elles venaient à être
vacantes… Et paf, elles le deviennent et
on m’offre un beau siège. Voilà
que des petits trous-du-culs de journaleux de merde se mettent à m’accuser d’avoir
je ne sais quel compte en Suisse. Que vouliez-vous que je fasse ? Que je
dise d’emblée comme ça : « je n’ai plus de compte en Suisse, pas si
con, j’ai tout viré à Singapour !» ?
Des années d’efforts pour grimper et
puis comme ça, d’un coup, je me saborde ? Vous feriez-ça vous ? Honnêtement ?
Et puis mes potes, vous les imaginez
impatients qu’un scandale leur pète à la gueule ? Faudrait être maso pour étaler la merde avant
qu’elle ne frappe le ventilo ! Bon, alors pour me sauver et accessoirement
pour pas trop foutre le bazar dans un joli gouvernement déjà pas si populaire,
je ne pouvais que mentir. D’ailleurs, mon patron, le gentil Moscovici m’a
couvert, il a enquêté et rien trouvé. Son patron m’a réaffirmé sa confiance. Qu’est-ce
qu’ils pouvaient faire d’autre ? Dire « Accroche-toi au pinceau, on
retire l’échelle » ? Non, ce qui est dommage dans cette histoire, c’est
que, l’affaire ne se tassant pas, je me sois vu contraint d’avouer mes
peccadilles. Et ça, je le déplore vraiment. Bonsoir M’sieurs-Dames, portez vous
bien ».
Je sais que M. Cahuzac s’exprime habituellement de manière
moins familière. Mettons ça sur le compte de l’émotion.
Ça la foutrait peut-être un peu mal, mais au moins ça aurait
le mérite d’être crédible et logique. Seulement, nous vivons un temps de grande
repentance. Si tu te repens pas, t’es plus rien qu’un gros vilain en Bisounoursie Occidentale.
Le tigre doit montrer son âme torturée. S’il a bouffé un villageois du
Bangladesh, c’est que la faim l’a contraint à aller contre sa nature. Promis,
il ne le fera plus ! S’il arrive en
disant que pour lui bouffer du villageois est naturel, que sa chair est
gouleyante et qu’il recommencera à la première occasion, on ne va pas lui faire
de cadeaux! Alors, s’il sait de quel côté sa tartine est beurrée, le tigre se
transforme en agneau. Végétarien qu’il sera désormais ! C’est tout juste s’il
ne pleure pas sur la douleur de la carotte qu’on arrache à la terre. Moyennant
quoi, le village peut « faire son deuil », tout le monde est content.
Le tigre, sa peine en partie purgée, boulotte de nouveaux villageois mais cette
fois à cause du traumatisme carcéral. Et ça recommence…
Moi, cette manie de la repentance m’agace, quelle
soit imposée aux particuliers ou a fortiori aux nations. Ce qui est fait est fait. Il n’y a pas à revenir
dessus. On assume ses actes. On paye pour eux le prix que la société fixe. Le remords, les regrets, le repentir
sont affaires intimes et non publiques. Je peux concevoir la repentance face à soi-même ou dans un
contexte religieux face à un Dieu qui connaît la sincérité des âmes. Mais face
au « tribunaux » (ceux de la justice comme de la bienpensance) elle
me rappelle les autocritiques du temps du petit père des peuples. Je ne lui accorde aucun crédit et pour tout
dire elle me dégoûte bien plus que ne le ferait une culpabilité assumée sans remords.