Les huissiers sont des mal-aimés. Sans le moindre Apollinaire pour les chanter.
Mettez-vous à leur place… Vous croyez que c’est marrant, vous, d’arriver chez
les gens avec du papier bleu, d’avoir à leur réclamer des sommes qu’ils n’ont
généralement pas, d’être contraint de leur proposer des arrangements alors
qu’un paiement franc et massif serait tellement plus simple ?
Sans compter que la plupart de vos clients ont tendance à
n’apprécier que moyennement votre visite. Comme si c’était de votre propre
initiative que vous veniez les importuner ! Certains se montrent même agressifs, quand
ils ne vous refusent pas l’entrée de leur demeure. Un bien triste métier.
Fut un temps où j’eus régulièrement affaire à ces braves
gens. Ce ne fut pas une période agréable, bien que j’eusse toujours été du genre
accommodant et que j’eusse compris le
côté ingrat de leur mission. Je ne les
blâmais pas d’exercer leur ministère et les recevais aimablement. J’ai connu
tous ceux de la ville. Il y en avait de timides qui, redoutant un mauvais
accueil, mettaient un point d’honneur à prendre un air désagréable, limite agressif, de plus
bonhommes avec qui, une fois la saisie conservatoire effectuée dans la bonne
humeur, nous devisions des malheurs du temps. Et puis il y en eut un qui…
Que… Enfin, un qui me marqua.
Maître X continue d’exercer son sacerdoce dans la belle
ville d’Y. Je ne serai donc pas plus précis. D’emblée, nous sympathisâmes.
Surtout lui. Il prit bien vite l’habitude de m’appeler Chef ou mon Chef,
parfois même Grand Chef. J’ai toujours détesté cette forme d’adresse. Nous nous
entendions à merveille, je crois même qu’il m’estimait vu qu’un jour il me
déclara : « Vous, ça va,
vous êtes correct, mais ceux qui ne le sont pas, je les laisse à poil
sur le trottoir ». L’idée que, quoi qu’il arrive, il me laisserait un
caleçon fut un baume à mon cœur meurtri.
Un jour, lui rendant visite pour quelque règlement, je vis
qu’il avait changé d’adresse. Je me rendis donc à ses nouveaux locaux et fus
frappé par la beauté des lieux. Le hall d’entrée, de proportions
imposantes, foisonnait de plantes
vertes. La décoration en était sobre, élégante, de bon goût. La réussite dont ces aménagements
témoignaient ne put que me réjouir tant le succès d’autrui et un emploi
judicieux de mes modestes contributions furent agréables à mon âme que l’envie
épargne. Il se trouva que Maître X, tandis que je m’entretenais avec la
personne de l’accueil, sortit de son bureau et,
m’apercevant vint saluer
« son chef » et s’enquérir de sa bonne santé. A son « Comment il
va ? » Je lui répondis, montrant d’un geste ses nouvelles
installations : « Visiblement moins bien que vous,
Maître ! ». Croyant y voir je ne sais quelle ironie, le brave
garçon me répliqua avec
bienveillance : «Ça, il me le paiera ! ». Bien sûr, sa bonne
nature lui interdit de n’en rien faire.
Il advint une autre fois que j’eus quelque menu détail
financier à régler avec lui. Son bureau se montra à la hauteur du hall. Il
m’invita à m’assoir. Je le fis, puis trouvant le fauteuil offert un peu trop
éloigné de son bureau, je tentai, machinalement, de rapprocher celui-ci dudit
meuble. Je m’aperçus que le siège était solidement fixé au sol. Maître X
m’expliqua que l’éloignement était dû au fait qu’il jugeait certains clients un
brin malodorants et que leur fixation évitait certaines tentatives de jet que
les colériques auraient sûrement
regrettées tout en lui épargnant de menues contusions…
La dernière fois que je le croisai, j’étais en compagnie de
mon épouse. Nous n’étions plus en
affaires. Visiblement, la plastique de ma compagne l’impressionna favorablement.
Il exprima son admiration avec tact : « Mais c’est qu’il a une belle
femme, le Chef. C’est pour ça qu’’il ne me l’avait jamais montrée… ». J’ai
édulcoré un peu, ne voulant pas m’enorgueillir de compliments qui ne s’adressaient qu’indirectement à moi.
Tout ça pour dire que, quelque délicates soient les
circonstances, on rencontre des personnes dont les hautes qualités enrichissent
et rassurent quant à délicatesse naturelle de l’humain.