En nos temps de grande repentance, il est fort bien vu que
nos gouvernants assistent ou participent à des cérémonies commémoratives,
sortes de rites expiatoires où sont rappelés les faits et méfaits (surtout ces
derniers) qui font de notre longue
histoire une succession de crimes abominables (car même les événements heureux servent
plus à souligner l’ampleur du malheur qui les a précédé que le bien qu’ils ont
engendré). L’idée est que ce faisant, on ravive le souvenir de nos fautes afin
d’éviter que nous ne les commettions à nouveau. Il y a deux jours, on célébrait
l’abolition de l’esclavage. Ainsi, après
avoir pleuré sur le malheur des pauvres victimes de la traite au lieu de nous
réjouir de sa proscription, nous voyons-nous incités à ne pas rétablir cet
odieux commerce. Bien qu’à ma connaissance, peu de partis aient inscrit ce
projet à leur programme, ça n’en reste pas moins méritoire car il vaut mieux
prévenir que guérir.
Les commémorations et autres journées mondiales de ceci ou
de cela sont censées permettre aux
descendants des coupables de se couvrir la tête de cendre tandis que les
descendants des victimes se livrent sans
retenue à la délectation morose qu’entraîne l’exposition de plaies aussi
anciennes qu’inguérissables.
Ayant très mauvais esprit, j’ai cependant l’impression que
mis à part quelques politiciens qui feignent de ressentir une tristesse de
commande, quelques associations qui espèrent en tirer quelque avantage et une
poignée de gauchistes qui ne sauraient vivre sans leur dose quotidienne d’auto-flagellation,
tout le monde s’en fout. Et c’est bien naturel car pas plus qu’un individu, une
nation ne peut aller de l’avant en regardant sa vie dans le rétroviseur. Tirer des leçons de ses erreurs passées est
une chose, se passer la rate au court-bouillon à cause d’elles en est une
autre. Regretter ses égarements est admissible, se repentir de ceux de
lointains ancêtres alors même que les circonstances ne se prêtent aucunement à leur
reproduction est absurde (si Simon IV de
Montfort, dont je ne pense pas être un descendant direct, se montra un peu rude
avec les Albigeois, les chances qu’une croisade en pays Cathare soit bientôt prêchée
me semblent bien minces).
Si de telles manifestations nationales avaient une utilité quelconque,
ne pourrait-on pas envisager que chaque individu les imite en dédiant un jour
spécifique de l’année à la commémoration des moments marquants de sa propre vie ?
Jours de liesse ou de tristesse ? Cela existe déjà : on fête son anniversaire
comme celui de son mariage, événements réputés heureux. Mais peu instaurent des jours de deuil consacrés
au souvenir de tristes périodes où selon qu’ils en soient les victimes ou les responsables
ils inviteraient leurs tourmenteurs au
repentir ou iraient s’excuser auprès de ceux auxquels ils ont nui. Une telle
idée ne viendrait pas à l’esprit du pire
ressasseur de malheurs, tant on est bien conscient que le conjoint infidèle se
fout comme de l’an quarante du jour où il quitta le foyer pour vivre de
nouvelles aventures ou que le gars de l’URSSAF ou des impôts qui précipita une
entreprise dans la faillite s’en bat le
coquillard. C’est peut-être triste, mais c’est comme ça. Personnelle ou
nationale l’histoire n’est pas un livre de morale à méditer mais une série de
faits, heureux ou pas, qu’aucun regret ou remord ne saurait changer pas plus
que sa connaissance ne saurait éviter qu’on retombe dans les mêmes ornières si
des circonstances similaires se présentaient à nouveau.
C’est sur l’avenir qu’il faut s’efforcer de faire porter ses
attentes ou ses principes. Porter sur le passé des jugements anachroniques est
stérile.