dimanche 19 janvier 2014

Librophagie



J’envie les librophages. Je l’ai été un temps. Ce temps n’est plus. Alors, quand je lis les amis Michel et Didier papoter bouquins, mon teint tourne au vert pâle. Comment ont-ils su garder intact cet enthousiasme juvénile, cette curiosité qui pousse à dévorer pages et  tomes avec un appétit d’ogre ?

Adolescent, il m’arrivait de lire jusqu’à plusieurs  livres par jour quand les vacances m’en laissaient le temps. Je passais mes journées sous ma tente qu’il pleuve ou fasse grand soleil et n’en sortais, vaguement abruti, que pour le déjeuner avec l’envie de retourner bien vite vers mes chers bouquins. J’avais, nette, l’impression qu’il m’eût fallu, pour bien faire, tout lire. Essais, romans, je passais sans logique d’un livre à l’autre au hasard d’un titre, d’un conseil, d’un écho.

J’avais la fièvre de la littérature comme on a la fièvre de l’or, persuadé que dans les pages se cachaient des trésors. Orpailleur du verbe, je n’attendais pas la grosse pépite à chaque batée, non, mais juste quelques paillettes eussent fait mon bonheur. Souvent, la quête était vaine. Il m’arrivait de prendre un temps les reflets d’éclats de mica pour ceux de l’or. Mais rien ne décourage le fiévreux…

Et puis, bien progressivement, sans que j’y prenne garde, la boulimie s’est faite gourmandise et le gourmand s’est changé en gourmet préférant le jeûne aux fades viandes. Alors que je donnais à tout livre sa chance, comme un juré suspendant son jugement jusqu’à la fin des débats, je lisais tout jusqu’au bout , il m’arrive de plus en plus souvent d’abandonner très vite une lecture. Si l’envie de connaître la suite est aux abonnés absents, s’il arrive trop souvent que mon esprit vagabonde abandonnant le texte pour une rêverie sans rapport avec lui, je laisse tomber.

J’ai dit « gourmet » mais qu’est-ce qui prouve que c’est le développement d’un goût raffiné qui m’a rendu si difficile ? Ne serais-je pas plutôt embourbé dans mes ornières ?  Refuser tout autre plat que le jambon-coquillettes ou le boudin-purée est-ce là  un signe de grande délicatesse ?  A moins que j’aie tout simplement perdu l’appétit ? Ces questions restent ouvertes…

Il en va de même pour les films. J’en décroche bien vite. Plus vite encore que des livres. Rares sont ceux dont l’histoire me captive au point d’oblitérer tout désir d’évasion.

J’en suis là. Je relis plus que ne lis. Est-ce un signe de vieillesse, de résignation ? Pourtant, il arrive encore qu’un livre ou un autre me fasse renouer avec un enthousiasme d’autant plus fort que rare. Tout n’est donc pas perdu. Il y a encore des pépites dans le ruisseau. La fièvre retombée, je prospecte bien moins, c’est tout…

27 commentaires:

  1. J'avoue avoir été par la passé moi aussi un grand lecteur et puis est venu internet et là, les livres ont diminué, comme les films d'ailleurs.

    J'ai même du mal à lire des revues auxquelles je suis abonné.
    Ah ce satané progrès !

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    1. Internet n'a rien à voir dans ce phénomène : l'explication est à chercher en nous-mêmes (si tant est qu'une explication soit nécessaire).

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    2. Internet favorise le dilettantisme.

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    3. Il est indéniable que le temps passé sur le Net n'est pas passé ailleurs...

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  2. Nous ne sommes pas si différents, au fond : moi aussi je relis. Tenez, mon Chinois, là, dont je parlais hier ou avant-hier… eh bien, je me doute que je n'arriverai pas au bout de ses neuf cents pages (car moi non plus, je n'hésite plus à sauter hors d'un livre au milieu de la rivière). Je préfère nettement relire Maurice Martin du Gard ou Paul Morand.

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    1. C'est justement vos échanges avec Michel sur la correspondance Morand-Chardonne qui m'a inspiré ce billet...

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  3. Je lis beaucoup de livres sur l 'histoire des guerres ou des batailles qui constellent ces guerres et je dois que ce genre de lecture me donne un coup de fouet pour me remettre à lire d'autres sujets mais l'âge venant et les enfants grandissant, le temps me manque ou alors laa patience par contre je suis toujours un boulimique pour les revues mais souvent elles parlent de bagnoles ou de flingues donc pour les véritables littéraires des sujets sans intérêts et pourtant, on peut parfois découvrir des régions ou les passions d' autres personnes.

    Quant à lire 300 pages d'un auteur littéraire, je crois que je ne pourrais pas

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  4. Je fus aussi librophage depuis mon adolescence et pendant toute ma vie professionnelle. Lire étant la seule chose à faire dans les transports en commun. Depuis ma retraite rurale, je lis moins, distrait par le spectacle de la nature: je relis beaucoup, je suis devenu difficile dans mes choix. Un chef-d'oeuvre ou rien. Rien étant le roman policier qui me conduit doucement vers le sommeil et qui m'attend sur ma table de chevet. Actuellement "Manuscrit trouvé à Saragosse" (à ne lire qu'à la lumière du jour, le corps du caractère choisi par le Livre de Poche est par trop petit pour être déchiffré à la lumière électrique) et -pour sourire- quelques pages de temps en temps de "Au bonheur des mots" dans la collection Bouquins (ici aussi, un corps plus adapté aux yeux de vingt ans).

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    1. Je serais tenté de dire comme vous "Un chef-d'oeuvre ou rien", bien que je n'estime pas suffisamment la qualité de mon goût pour affirmer que ce qui me plaît le plus relève du chef d’œuvre. Il est certain que mon goût croissant pour le jardinage et le bricolage ne favorise pas non plus mes lectures. Sans compter mon blog qui me prend bien du temps...

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    2. Je ne le vous fait pas dire: la tenue régulière d'un blog est chronophage.

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  5. C'est le privilège de l'âge, on dévore moins mais on déguste plus...
    Amitiés.

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  6. Mezigue j'ai des envies librophages ou papivores. Il me suffit d'entendre ou de lire la critique de tel ou tel livre pour désirer son acquisition. Récemment encore j'ai mordu à l’appât : "les derniers jours" de Jean Clair me tombe des mains. Pourtant je sais que je succomberai à nouveau à la tentation.

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    1. Si l'envie est toujours là, la surprise est de moins en moins au rendez-vous.

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    2. Ceci dit c'est pareil pour internet : de plus en plus les textes des uns et des autres me saoulent. Qu'ils fassent dix ou trente lignes je n'en viens plus à bout: je sais par avance de quoi on me cause, l'idée qui domine, l'humour emprunté, la chute.

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    3. Sauf, bien entendu ici où l'humour, les sujets, les idées se renouvellent sans cesse et ouvrent grand aux lecteurs les portes d'ineffables félicités.

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  7. L'humour ou l'opprobre mille fois recuite, c'est du kif. Impression de déjà vu, lu et entendu souvent.
    Je regarde ça d'un œil terne. Je vibre de moins en moins.

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    1. Inflation de mots.

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    2. Eh oui. Mais comment leur en vouloir : tout le monde n'a pas mon talent...

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  8. tout le monde n'a pas mon talent...

    Ca, J-E, je vous l'accorde bien volontiers. Ainsi qu'à votre ami Desgranges.
    Sinon que ferais-je ici ?

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  9. Quand j'étais jeune je lisais énormément puis la vie, le boulot, les mômes, bon, j'ai ralenti et puis maintenant, avec la retraite, ça m'a repris, je me suis inscrite à la bibliothèque, juste en dessous de chez moi, ça tombe bien et je prends bien 4 à 5 livres par semaine, j'ai le temps ! je relis ce que j'avais aimé et je découvre des nouveaux auxquels je n'aurai jamais pensé

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  10. Avant j'aimais bien lire mais je ne peux plus, je me suis servi du livre pour caler les pieds de l'armoire.

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