vendredi 31 janvier 2014

In memoriam François Cavanna



Celui qui avait déclaré la guerre à la mort nous a quittés hier. C’était couru d’avance. Ses chances de l’emporter étaient nulles. Avec lui, c’est un peu de ma jeunesse qui s’en va. Hara Kiri ! Charlie Hebdo ! Qu’il repose en paix !

Ses provocations charmèrent mon adolescence. C’était de mon âge. Il faut se rappeler que les années soixante n’étaient pas si « swingueuse » qu’on aime à les rêver aujourd’hui. Il arrivait même que, petit bourgeois, on y étouffât dans une famille catholique pas vraiment rock n’ roll. La bande d’hurluberlus qui venait piétiner les conventions qu’on aurait voulu nous voir révérer apportait un semblant d’oxygène.  On accueillit donc ses plaisanteries douteuses avec une gourmandise que rehaussait un arrière goût de péché…  On se prêtait le mensuel qu’on lisait en cachette. Mon père, en ayant trouvé un numéro mal dissimulé le confisqua après un discours outré. « Jamais vu ni lu rien de plus obscène », qu’il déclara. Il était dans son rôle de pater familias, avec l’indispensable hypocrisie que ça implique…

Et puis le temps passe, celui que ma mère qualifiait de « grand saint » car il guérit tout. Y compris du goût de la provoc qui finit par sembler puéril. Il y eut bien quelques livres autobiographiques agréables : Les Ritals, Les Russkofs, Bête et méchant, Les Yeux plus grands que le ventre (je possède encore les deux derniers)…

 Mais le vernis se mit à craquer. Invité à Apostrophes il menaça l’ivrogne Bukowski de son poing dans la gueule. Ça sentait le commerçant frustré d’être gêné dans sa vente de soupe. La mort par overdose de sa petite fille lui donna l’occasion d’un discours sanctifiant la victime et blâmant les marchands de mort qu’aucun réac n’eût renié. Empêtré dans ses histoires de cul, le chantre du « Stop-crève » fut sauvé de justesse d’une tentative de suicide par pendaison. Son désir de vie éternellement prolongée fleurait l’égocentrisme et la banale  pétoche. L’anar iconoclaste se montrait bien conventionnel, voire ridicule…

Que restera-t-il de celui qui se désignait comme seul ennemi la bêtise mais n’en fut, comme personne, exempt ?  Il fut l’homme d’un temps. Ce temps est révolu.

18 commentaires:

  1. Juste hommage, qui change agréablement des pleurnicheries révérentielles.

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  2. Si dans les années 60, les filles n'avaient pas encore l'idée de jouer au rugby, elles ne lisaient pas plus Cavanna, bien qu'elle n'en ignorassent pas la trogne.
    Merci donc, de lui donner vie pour moi, le jour de sa mort !

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  3. J'ai rencontré par hasard Cavanna dans un théâtre de l'est parisien, c'était il y a une dizaine d'années, il était pas bien frais, je me demande si il avait encore toute sa tête mais je n'ai jamais été un admirateur, de nos jours avec valls et ses moralistes, il serait déjà en prison.

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    1. Il y a une dizaine d'années, il avait quatre-vingts ans. Serons-nous encore frais à cet âge?

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    2. @ Grandpas : Il était quand même dans le camp du bien, celui qui a le droit de dire n'importe quoi (et son contraire) en toute impunité.

      @ Pangloss : vus mes efforts soutenus, il est fort probable que je n'atteigne pas cet âge. Si je l'atteins, j'espère que ce sera en pleine forme (mieux que maintenant !) ou complètement gâteux pour ne pas me rendre compte de ma déchéance.

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  4. Faut-il l'aimer pour lui reprocher à ce point ses défauts!

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    1. J'ai apprécié un temps fut. Dire que maintenant je l'aimerais me paraît très exagéré...

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  5. Les Russkofs est un roman autobiographique drôle, triste, sincère et touchant.

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    1. je me souviens l'avoir apprécié mais c'est si loin tout ça...

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  6. j'ai lu tous ses livres dans le temps, je dois bien en avoir encore un où deux quelque part, mon père aimait lire ses journaux mais nous n'y avions pas droit, on lui chipaient en douce , valait mieux ne pas se faire pincer !

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  7. Parfaite incarnation du faux anarchisme ultraconsensuel et qui assure de bonnes ventes, Cavanna fut surtout le misérable et cupide profiteur qui transforma l'excellent HaraKiri du bon professeur Choron en un bidule gauchiste.

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  8. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  9. Je ne connais que ses romans biographiques, évoqués ci-dessus par M. Etienne, et je n'y ai jamais décelé "un faux anarchiste ultra-consensuel" et gauchiste (il s'en foutait complètement - lire les pages qu'il a consacrées aux communistes), ou encore un "cupide profiteur", mais un écrivain doué, un esprit libre, avec un style unique, et parti vraiment de rien. Pour ma part, je le regretterai et je le relirai avec plaisir.

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  10. que rehaussait un arrière goût de péché…

    Le péché, le savoureux péché, qui manque cruellement à notre époque.
    Passer la frontière, explorer le monde interdit...transgresser la morale.
    Aujourd’hui que l'immoralité est la norme, comment faire pour vivre un peu ?

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  11. Il n'en restera rigoureusement rien, l'outrance et l'exploitation des tendances fugaces ne remplacent ni le talent ni la profondeur. Qu'il repose en paix, tout le monde la lui foutra, soyez en sûr.

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