dimanche 12 janvier 2014

Horace, le retour…



“Sic eat quaecumque romana lugebit hostem !” aurait, selon Tite-live, déclaré le seul survivant des frères Horace. On ne peut pas dire qu’il y allait avec le dos de la cuiller ! On pourrait même le qualifier de sévère. Surtout quand on connait les circonstances de sa déclaration et un peu de latin. Pour ceux qui ignoreraient les deux voici des explications : alors que Rome et Albe étaient en conflit il fut décidé que pour départager les deux villes trois champions défendraient les couleurs de chacune lors d’un combat à mort. Pour Rome, ce furent les frères Horace. Pour Albe, les frères Curiace. Je vous passerai les détails (si vous n’écoutiez  que d’une oreille distraite les cours sur la belle tragédie que M. Pierre Corneille écrivit sur le sujet en 1639, allez vous-mêmes combler cette lacune). Toujours est il qu’après avoir perdu ses deux frères, Horace parvint à tuer un par un les Curiace. Content comme tout et fier comme un pou, ne voilà-t-il pas qu’alors qu’il revenait du combat chargé des trophées arrachés aux vaincus, sa sœur voyant qu’il portait la dépouille de son défunt fiancé (un Curiace), s’arracha les cheveux et  se mit à pleurer son amour. Sévèrement contrarié, Horace la transperça de son glaive et prononça les paroles précitées qui signifient  en bon français « Ainsi périsse toute Romaine qui pleurera un ennemi ».

On peut penser ce qu’on veut d’Horace, mais une chose est certaine : tête près du bonnet ou pas, il aurait bien du mal à s’insérer dans notre société de repentance ou pleurer l’ennemi est devenu la règle. Son acharnement à poursuivre l’ennemi de sa haine paraîtrait démodée.

Sauf si, bien entendu, l’ennemi se trouvait être un affreux nazi. Dans ce cas on peut continuer en toute bonne conscience à le haïr et à châtier qui le pleurerait ou serait simplement suspecté de le regretter voire de ne pas le haïr. A la libération, un Horace moderne, sans nécessairement aller jusqu’à tuer sa sœur, aurait donc pu la tondre sous les vivats d’une foule patriote en délire, même si cette dernière n’était pas en pleurs. Et aujourd’hui ?

Il y a quelques jours, un ancien Wafen SS a été inculpé pour avoir participé au massacre d’Oradour-sur-Glane. Le présumé innocent avait dix-neuf ans au moment des faits. Il en a aujourd’hui quatre-vingt-huit.  Bien entendu, il nie avoir tiré. Il montait la garde à l’entrée du village afin que nul n’entre ni ne sorte. Il aurait même sauvé deux Françaises.  Un brave homme, quoi.

Presque soixante-dix ans après ce drame, on continue de poursuivre ses coupables. Le problème, c’est que de ces protagonistes, il ne peut rester que des sous-fifres, de simples exécutants sans aucune parcelle de pouvoir.  Un officier subalterne (et donc soumis aux ordres de ses supérieurs) ne saurait aujourd’hui avoir moins de quatre-vingt-dix-ans. Quand aux officiers supérieurs ou généraux, ils seraient en passe de concurrencer Jeanne Calmant.  N’est-il pas un peu tard pour agir ? Surtout, si, comme le signale avec justesse M. Aristide, la justice ne se propose plus de punir. Elle préfère rééduquer. L’éventuelle sanction se veut  réformatrice.

Je ne voudrais pas me montrer pessimiste, mais de deux choses l’une : soit les soixante-dix dernières années auront permis aux bourreaux de revisiter  leurs erreurs de  jeunesse,  soit ils ont conservé un enthousiasme fervent pour les thèses d’Adolf et leur capacité à se réformer grâce à un salutaire séjour dans la section gériatrique d’une geôle rédemptrice est sujette à caution.

Si les crimes de guerre avaient du  être punis, c’était il  y a quelques décennies, à l’époque où l’ancien nazi se comptait encore par millions et  où au sein de ces millions se trouvaient encore, par milliers, des gens que leur niveau hiérarchique pouvait faire considérer responsables. Et qu’on peut supposer avoir encore tenu des fonctions importantes. Seulement, juger et punir tant de monde n’eût pas été une mince affaire : n’aurait-on pas, en le décapitant,  plongé le pays dans l’anarchie (et pas seulement l’Allemagne ?). Alors, on fermait les yeux. La mode était plus au devoir d’oubli que de mémoire. Ainsi put se construire l’Europe…

Maintenant que presque tous les acteurs et bien des témoins sont allés vérifier si, absorbé par la racine, le pissenlit a meilleur goût, maintenant qu’on a enfin atteint une vision aussi manichéenne que fausse d’un temps révolu, on peut sans problème poursuivre de quasi-fantômes avec toute la hargne qu’ils méritent. Il arrive même qu’après leur mort, on les censure comme naguère Horst Tappert.  A la différence d’Horace, on n’agit plus sous le feu de l’action mais au nom d’une mémoire sacralisée. Est-ce bien raisonnable ?

8 commentaires:

  1. D'abord, on n'a plus le droit de parler d'Horace : le mot correct est Hoethnie

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  2. Horace, ô désespoir, je sais c'est nul mais je n'ai pas pu résister!

    C'était peut être un admirateur de M'bala m'bala ce qui lui ôte toute humanité;

    Pour le massacre d'Oradour, certains SS alsaciens furent moins condamnés car ils n'auraient fait qu’obéir aux ordres donnés et aussi qu'ils faisaient parti des "Malgré nous", je rappelle que pour être incorporé dans Waffen SS, il fallait être volontaire.

    Poursuivra ton les crimes commis par certains résistant à la libération, j'en doute,parole de nauséabond.

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    1. Volontaire ou pas, faire répondre à un subalterne nonagénaire des crimes de ses vingt ans me paraît ridicule. Quant aux exploits de certains résistants de la dernière heure, je n'en dirai rien mais n'en penserai pas moins.

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  3. L'argument justifiant ce qu'on pourrait appeler un acharnement exprimé par l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité est que quels que soient les circonstances, le temps passé, l'évolution des situations politiques, tout criminel doit savoir qu'il sera poursuivi jusqu'à être jugé. Ce qui devrait le faire réfléchir "avant".
    Tout ça, c'est bien joli mais l'histoire récente a montré que, quelle que soit l'horreur des crimes, nombre de criminels n'ont jamais été inquiétés (URSS, Chine, Cambodge, nombreux pays d'Afrique etc) et que ceux qui l'ont été, l'ont été en tant que bouc émissaires.
    On pourrait en déduire que cette obstination à poursuivre des nazis quasi-centenaires

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  4. Mauvaise manip! Vous complèterez vous-même.

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  5. J'y voit 2 raisons :
    1/ pour les accusateurs, celui de conserver le statut de victime "à part"
    2/ pour les institutions, perpétuer le rite du sacrifice du bouc émissaire...
    Je ne pense pas qu'en faisant ces peines éternelles, le Législateur voulait faire une course aux nazis à l'instar de Golda Meir (1972). Il voulait simplement faire la démonstration symbolique de sa bonne volonté à toujours faire plus pour le bien et le progrès.
    Le politique adore faire le Pénitent, qui prend (symboliquement) sur lui la charge du Monde. Et quoi de mieux que de bruler un bouc ? Ca se mange, en plus !

    Amike

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