vendredi 4 octobre 2013

Le libraire et Amazon (Fable parlementaire)



Vous êtes venu dans la boutique pour acheter Fous -la moi bien à fond, gros salaud ! Hélas, ils n’ont plus ce chef-d’œuvre en rayon !  L’engouement fut trop grand... Qu’à cela ne tienne, le libraire sonde vos reins, vous évalue, vous cerne, apprend au fil d’une conversation à bâtons rompus à connaître votre moi profond. En remplacement, il vous propose, si vous êtes de nature rigolarde la Critique de la raison pure du vieil Emmanuel. Un bouquin à se pisser dessus ! Si vous êtes d’humeur badine, il y a Le Partage de midi de Claudel. Seriez-vous homme (ou femme) à n’aimer que les ouvrages sérieux ?  Le dernier opus de Lafesse vous tend les bras (à moins que ce soit le dernier de Lebras qui vous tende la fesse). Le libraire, comme le livre qu’il révère  «est ta richesse à toi ! c'est le savoir, Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,Le progrès, la raison dissipant tout délire » comme disait ce vieux con d’ le grand Hugo. Que serais-tu sans lui ?

Et voilà qu’il est en péril ! Un monstre qui préfère payer le gros de ses impôts au Luxembourg plutôt qu’en France (allez savoir pourquoi ?) menace sa survie par des pratiques cauteleuses.

Dans sa grande sagesse, afin de sauver le peu de libraires qui restent, une proposition de loi vient d’être adoptée par l’Assemblée Nationale, droite et gauche enfin unanimes,  tendant à contrecarrer les tristes manigances de la pieuvre Amazon. Que faire, sinon s’en réjouir ? Voilà des gens qui, sans vergogne, à un prix réduit et dans des délais très courts faisaient parvenir les livres de votre choix dans votre boîte à lettres sans que vous n’ayez à vous déplacer pour la commande ni pour, après de longs délais, aller chercher l’ouvrage convoité. Ils l’expédient  même, en cas de cadeau, au destinataire de votre choix. Quelle honte !

Je veux bien qu’un amateur de livres rares puisse aimer à farfouiller dans les bacs avant de trouver, au fond, chez un libraire spécialisé, la perle qu’il cherchait. Reste à savoir si cette perle ne se trouverait pas, en quelques clics, sur un site du Net. Oui mais, le lien social, le sensuel toucher de l’objet, la délicieuse poussière qui monte des rayons, le doucereux sourire du commerçant humant sa proie, qu’en faites-vous ? Eh bien, je suis honteux de vous l’avouer, mais je m’en tape, à le fracasser, le proverbial coquillard. Parce qu’à part L’espace culturel Leclerc, dans un rayon de vingt kilomètres autour de chez moi on chercherait en vain un commerce qui propose plus de vingt livres totalement dénués d’intérêt.  Parce que ce même « Espace culturel »ne propose pas grand-chose. Parce que faire plus de cent de kilomètres pour bavarder avec un libraire sinon inculte du moins pas si culte que ça m’intéresse autant que d’assister au concours du plus grand bouffeur d’andouille.

Alors, prix du port ajouté ou pas, je continuerai d’acheter mes livres sur Amazon. Si les libraires en meurent, j’en suis navré pour eux. Il leur arrive ce qui survint aux exploitants et fabricants de diligences quand se développa le rail. C’est triste, certes, mais surpayer un « service » obsolète et inadapté n’attire que peu de monde. Quant à penser que cette proposition de loi changera profondément les données du problème, il faut avoir la grande hypocrisie ingénuité de notre représentation nationale pour simplement l’envisager.

20 commentaires:

  1. Bonjour,
    Il faut aussi répéter que les libraires ne meurent pas à cause d'Amazon, ils crèvent avant tout et surtout des politiques des éditeurs qui les obligent à acheter d'avance des stocks de livres sans commune mesure avec la taille et le public de la librairie, ce qui coûte cher à l'achat bien sûr, mais aussi en gestion de stocks. Amazon n'a rien à voir là-dedans.

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    1. 1. Amzn n'est effectivement responsable de rien.
      2.Pour le reste : faux.

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    2. C'est étonnant, cette explication m'avait pourtant été donnée par plusieurs libraires.

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  2. Bien parlé, nous sommes le pays du combat d'arrière-garde, pas la peine d'aller chercher plus loin les raisons de notre décrépitude.
    Moi aussi, je continuerai à acheter chez Amazon et si ça continue, je passerai même au "e book", je devrais dire au livre électronique mais
    peu de gens comprendraient à quoi je fais allusion...le français, que voulez vous...
    Amitiés.

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    1. Je n'irai pas jusqu'au e-book car j'aime l'objet-livre y mettre des signet etc. Vous êtes bien plus moderne que moi !

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  3. Jacques Etienne, bien dit!

    Une question quand même me taraude: " Trouve t on encore ce sublime ouvrage sans lequel la littérature ne serait rien, Fous -la moi bien à fond, gros salaud !

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    1. Hélas non, mais ce n'est pas si grave car ce n'était qu'une pâle resucée du "Fous-la moi toute de Martin Heidegger.

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    2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    3. Je ne résiste pas à l'envie de vous conseiller ici le fabuleux "Spinoza encule Hegel" ainsi que le tome 2 intitulé sobrement "A sec". Ce sont là deux beaux livres que l'on trouve facilement dématérialisés.

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    4. Sortez de ce corps, Grandpas ! Le doublet vous a dénoncé !

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    5. http://www.amazon.fr/gp/aw/d/2070409627

      C'était ma premiere sur blogspot! Et il est où l'éditeur de réponse?

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  4. Très bon billet -- il faudrait dire aussi tout le mal qu'a fait, et continue à faire, la loi sur le "prix unique".

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    1. Cher Michel, aurais-je reçu votre Femme d'État en 48 heures, à domicile et à 19 € - 5 % si je l'avais commandé sur Amzn plutôt que chez le libraire du coin, qui me l'a facturé 19,30 € et avec 6 jours de délai ? Cela aurait, de toutes façons, émoussé mes plaisirs masochistes...

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    2. @ Michel : Merci.

      @ A Al : il est vrai que d'un point de vue purement masochiste, le libraire est plus gratifiant.

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  5. Ben, il est passé où, mon commentaire ?

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    1. J'ai cherché partout, je ne le vois pas. Avez-vous regardé sous votre bureau ? Il arrive qu'il y roulent...

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  6. Excellente analyse !

    Amazon fait mieux et moins cher que les libraires, l'Etat devait donc faire quelque chose...

    A noter que si les fiscalité n'était pas aussi forte, c'est en France qu'Amazon paierait des impôts et pas au grand-duché...

    J'allais à la FNAC, souvent, à une époque, aujourd'hui, avec ma liseuse et Amazon je ne me déplace plus jamais dans une libraire sauf exception (genre carte cadeau FNAC...)

    Les libraires vont disparaitre, comme les maréchal-ferrant (maréchaux ??), les forgerons, les inquisiteurs etc... Ce n'est pas bien grave....

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    1. Merci Skandal. Le jour où ils auront compris que l'impôt tue l'impôt n'est pas près d'arriver.

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  7. C'est un peu comme les disquaires qui ont tous à peu près disparus, à l'exception de ceux qui se sont spécialisés dans des créneaux très spécifiques (disques d'occasion dont on apprécie quand-même de vérifier visuellement l'état avant de l'acheter, collectors en vinyle pour DJ nostalgiques...).
    Avec la musique numérique disponible sous forme de fichiers téléchargeables, même les grands distributeurs arrêteront la diffusion des CD qui ne seront de toutes façons bientôt plus fabriqués.

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    1. Pour le livre rare, il reste probablement un créneau mais cela demandera de véritables spécialistes, pas des marchand de livres.

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