Pour la énième foi, j’ai regardé hier soir ce qui est probablement mon film préféré (plus ou moins ex-æquo avec Les Tontons flingueurs, Coup de tête, Série noire, La Fiancée du pirate, Le Père Noël est une ordure, Les Bronzés font du ski et quelques autres encore) : Coup de torchon.
Qu’en dire ? La distribution est éblouissante. Un Noiret, jouant les faux innocents, proprement époustouflant. Une Isabelle Huppert au sommet de sa beauté et de son art, une Stéphane Audran impeccable, un Eddy Mitchell incarnant son rôle de semi-débile de manière presque trop crédible, un Jean-Pierre Marielle réapparaissant comme un clone de son frère, pour personnifier avec brio la totale incompréhension, un Guy Marchand si grotesque qu’il en devient presque sympathique, un François Perrot irrésistible de comique « involontaire » dans son rôle de Colonel Tramichel lorsqu’il se présente ou commente l’actualité.
Dix nominations aux Césars et une aux Oscar. Résultat : aucune récompense ! La concurrence était, certes rude mais quand même !
Cette petite ville coloniale, ses rues de sable bordées de demeures décrépites (ce qu’elles n’étaient probablement pas au temps ou est censée se dérouler l’intrigue) vient par son délabrement accompagner le sentiment de déréliction qu’engendre une société promise à la disparition (j’en ai traversé d’aussi mélancoliques au Sénégal lors de mon (trop long) séjour dix ans avant que n’y ait lieu ce tournage).
Le problème, avec ce grand film, c’est que plus je le vois et moins je parviens à comprendre les motivations et, plus largement, le fonctionnement psychique de Lucien Cordier, à la fois pitoyable, monstrueux et sympathique « héros » de l’histoire. Le réduire à un personnage trop souvent humilié se vengeant de façon machiavélique de ses « bourreaux » me paraît simpliste. Il y a évidemment vengeance, mais ça va beaucoup plus loin car sa « folie » meurtrière peut toucher également ceux qui ne lui ont fait aucune offense. Il semble agir comme un agent du destin, animé par une force qui lui échappe et à laquelle il se résigne à obéir.
Bertrand Tavernier aurait tourné une autre fin à ce film, et justifié son choix d’une fin qui n’en est pas vraiment une. Je n’ai pas vu cette fin alternative et ne sais rien des raison de son rejet. Peut-être est-ce mieux. Ainsi le mystère demeure entier, du moins à mes yeux...