Je suis d’origine bretonne. Surtout
du côté de ma mère et de mon père, tous deux nés dans le Trégor,
l’un sur la côte (Armor) l’autre dans les terres (Argoat) Tous
deux parlaient couramment le breton dans sa variante trégoroise. A
une différence près : chez mon père on ne parlait en famille
que cette langue tandis que du côté maternel on s’exprimait en
français du fait que la famille avait recueilli un certain M. Le
Fustec (nom de jeune fille de ma mère) qui, retraité et à la
recherche de ses racines leur était un jour arrivé de Paris. Bien
qu’il ne fut pas vraiment apparenté à mon grand-père, celui-ci
lui loua la petite maison adjacente à la sienne et il prit ses repas
« en famille ». Par politesse, vu qu’il ne parlait pas
un traître mot de breton, on n’utilisa dès lors que le français
en sa présence.
Autre
différence : mes grands parents maternels parlaient bien
français. Le grand-père avait son Certificat d’études ! Du
côté de mon père, c’était moins brillant. Je crains qu’ils
n’aient pas fréquenté l’école et leur français était
approximatif. Quoi qu’il en soit, ce fut à l’école que mon père
rencontra le français et que ma mère peaufina le sien. Savoir très
utile car les vicissitudes de la vie firent qu’à la fin des années
quarante ils se virent contraints de quitter leur pays natal pour
s’installer à Paris puis dans sa banlieue.
Pour
eux, toutefois, ce fut ressenti comme un exil temporaire. Seule la
Bretagne comptait. On fréquentait ceux de la famille qui avaient
émigré, d’autres exilés de leurs villages, on allait en vacances
en Bretagne, on fréquentait la Mission bretonne de Paris, on était
abonné à La Bretagne à Paris et surtout, surtout, le temps
de l’exil terminé, on retournerait y vivre. On y fit bâtir
d’abord une maison de vacances puis une maison pour la retraite. On
réalisa ce rêve de retour au pays. Ce fut une déception pour ma
mère car entre un pays rêvé et le pays réel, il existe pour le
moins des nuances.
Et
moi là-dedans ? Tout d’abord, bien que né en proche
banlieue, à cause de l’exiguïté du logement, on m’expédia
jusqu’à mes deux ans et demi en nourrice chez une amie de ma mère,
dans son village natal. Il paraît que j’en revins parlant français
(avec un fort accent breton) mais aussi, selon la grand-tante qui
avait accompagné mon retour en train, le breton. Il faut croire que
le changement brutal de famille et d’environnement fut fatal à ce
dernier savoir car je n’en conserve aucun souvenir. Chez nous on ne
parlait que français. Le breton était réservé aux échanges
houleux dont mes parents ne désiraient pas que nous connaissions la
substance. Leur code secret, en somme. Du coup, en dehors de quelques
dizaines de mots, je n’en connais rien.
En
dehors du début des années soixante-dix où souffla un fort vent de
« bretonnitude » (Tri Yann, Glenmor, Stivell, Servat ;
succès en librairie du « Cheval d’orgueil » de
Per-Jakez Hélias, etc.) et où mon entourage d’alors s’y
prêtait, mon sentiment d’appartenance à la Bretagne alla
s’étiolant au fil du temps. Ma mère mourut en 84, entraînant la
fin des Noëls en famille. En dehors de quelques séjours dans notre
maison de vacances, mes visites se firent de plus en plus rares. La
maison vendue, le décès de mon père y mit fin. Mis à part
quelques visites touristiques à Dol-de-Bretagne et à Saint-Nazaire
où réside mon frère aîné, je n’ai depuis pas mis les pieds en
Bretagne et jamais dans le Trégor.
Je
ne me sens plus que Français. Je suis assimilé. Quand on me demande
d’où je suis je réponds « de nulle part » faute de
pouvoir dire « de France » ce qui ne renseignerait
aucunement mon interlocuteur vu qu’il s’en doutait probablement
déjà (en dehors des Anglais qui ont tendance à me croire
Néerlandais quand je parle leur langue).
Je
pense que ce phénomène d’assimilation est très fréquent chez
les immigrés de l’intérieur de deuxième génération. Combien,
du fait de leur sédentarité, de Le Braz, de Le Guen, de Le Fur, de
Piriou, se déclarent Parisiens, Marseillais, voire même Normands ?
Ayant mené une vie plutôt errante de pays en pays, de province en
province, je ne me reconnais que dans la France, plutôt celle du
Nord-ouest si l’on excepte mes escapades limousines. Je m’y sens
chez moi.
Depuis plus de neuf ans, je vis en Normandie. Je pourrais y
demander ma naturalisation mais ce serait tricher car je ne me
sentirai jamais Normand. Pas plus que Breton, Sénégalais, Anglais,
Eurélien, Limousin, Tourangeau ou Berrichon. Je suis Français, de
langue et de culture, j’aime la France : c’est tout.