Si tout se passe bien, demain vers 20 heures, je serai, l’espace d’un instant le plus jeune septuagénaire de France. Ça se passera dans le calme. Il y a quelque temps que je ne fête plus mes anniversaires. Il n’empêche que j’en suis légèrement troublé.
Soixante-dix ans, ça commence à cuber… Quand je dis ça, j’attire immanquablement un « 70 ans, c’est jeune ! ». Tu parles, Charles ! Ce n’est pas tout à fait l’impression que j’en retire. D’ailleurs, je doute de la sincérité de cette exclamation : quand on est vraiment jeune, il ne vient à l’idée de personne de vous le dire, on réserve cet hypocrite « constat » aux semi-croulants et autres vieux schnoques. Passé quatre-vingts ans, on ne vous dit plus jeune, on se contente, par politesse, de vous dire que vous ne les faites pas et ce quelque soit votre état. On est gentil…
L’autre jour, le pneumologue de l’hôpital de Vire me conseilla d’arrêter de fumer sous prétexte que ce faisant, je pourrais, peut-être, vivre jusqu’à 110 ans ! Curieuse idée qui m’amena à lui demander : « Pour quoi faire ? ». Il est vrai que si cette extravagante longévité m’était offerte, je pourrais envisager de fonder une famille, de voir mes futurs enfants grandir, de fêter les soixante-quinze ans de ma fille… Perspectives enivrantes pour certains peut-être mais je n’en suis pas.
En fait, si tant est que le temps des bilans arrive, je dois dire que je ne suis globalement pas mécontent de ma vie et que ça tombe bien, car il serait un peu tard pour en commencer une autre. L’âge m’a apporté une forme de sérénité qui compense bien les inévitables détériorations physiques qu’il entraîne.
Loin de penser que tout était mieux avant, je n’en appartiens pas moins à une époque, à un état de notre civilisation que je vois disparaître et pas forcément pour laisser place à un monde meilleur. Il m’arrive parfois de me sentir totalement étranger à la société d’aujourd’hui et ce n’est pas qu’un « sentiment ». Les changements sont réels. Combien d’opinions ou de pratiques acceptables dans les années de ma jeunesse sont devenues indéfendables de nos jours ? L’hygiénisme et le politiquement correct ont transformé bien des gens en trouillards compulsifs. La peur de vivre s’est répandue concomitamment à celle de mourir. Je ne vois pas la vie comme ça. Je deviens un anachronisme ambulant et le pire c’est que je n’en ressens aucune honte.
Certains jugeront mon propos bien amer. A mes yeux, il n’en est rien. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Je fais, sereinement, des constats, c’est tout. Qu’ils soient, dans l’absolu, justes ou faux est sans importance. Je ne vis pas dans l’absolu mais dans une petite ville du Sud-Manche et je m’y sens très bien, sans peurs farouches, sans angoisses particulières, sans souci de ce que l’avenir me réserve vu qu’à part l’accepter je ne vois pas trop ce que je pourrais faire.
Le mois dernier, avec ma fille, en Corrèze nous avons chanté « My way ». Il m’a alors semblé que les paroles que chante le vieux Frank expriment assez fidèlement la manière dont je vois les choses… Mes excuses aux non anglophones à qui le sens des paroles échapperont. Je m’en consolerai en me disant que je leur offre quand même une bien belle chanson :