Au rythme où se succèdent les décès
de nos idoles, on pourrait penser que notre époque est maudite, que
les disparitions de cette fin de décennies sont un phénomène
inouï. Hélas, il n'en est rien. Les fins de décennies ont souvent
vu disparaître de grands homme et femmes nous laissant au cœur une
plaie ouverte. Les années soixante du siècle dernier n'en furent
pas épargnées. A une époque où tout était censé être mieux, où
l'on vivait, inconscient de leur prochaine fin, des années dites
glorieuses, quelqu'un se sentit très mal à l'aéroport d’Istanbul
le 1er décembre 1968, si mal même que l'hémorragie cérébrale (ou
selon d'autres l'infarctus) qui l'affecta lui fut fatale. Je veux
parler bien entendu du regretté Dario Moréno qui, en compagnie de
Pauline Carton tient une place si haute dans mon panthéon personnel
que j'ai dû y rajouter un étage afin qu'ils y logent à leur aise.
Il n'avait que quarante-sept ans, ce
qui prouve que depuis bien longtemps la vie sait se montrer
cruelle. Faire la liste de ce que durant sa brève existence Dario
nous a apporté serait fastidieux. Je n'en prendrai que quelques
exemples : sans lui, qui penserait, lors d'un voyage à Rio, à
monter là-haut ? Croiserions-nous encore un vagabond sans
vouloir lui acheter du bonheur ? Aurions-nous remarqué que
Brigitte Bardot n'avait (hors la rime) rien d'un cageot ?
Toutefois, l'homme avait son côté
sombre. Écoutez attentivement les paroles de cette chanson,
sans vous laisser distraire par le déhanché et la chorégraphie de
l'artiste :
Après un « la la la la la la la
la la la » de bon aloi, qu'entend-on ? Eh oui : « Pi
dibi dibi poï poï »!On repart sur « la la la la la
la la la la la » et, de nouveau retentit « Pi dibi
dibi poï poï » ! Entraîné par le rythme endiablé
de la musique, l'auditeur n'y prend pas garde. Et pourtant ! Peu
de gens le savent, mais ce qu'ils prennent pour d'inoffensives
onomatopées ne sont rien d'autre qu'une incantation satanique visant
à ce que le démon s'empare des âmes et des corps des filles pour
les entraîner dans la danse. D'ailleurs, de cette aliénation, le
grand Dario n'en fait pas secret puisqu'il avoue plus loin
(sans indiquer qu'il s'agit d'une intervention satanique, bien sûr) :
« Oui, depuis
que toutes ces danses
Sont arrivées chez
nous, c'est très curieux
Des milliers d' filles
comme elle se dépensent
Le romantisme n'est
plus dans leur jeu
Ce qui leur faut c'est
un pas de mambo
Ce qui leur va c'est un
p'tit cha-cha-cha
Ce qui les tient c'est
le rythme cubain »
« C'est très curieux » ?
Tu parles !
Voilà, vous savez tout. Maintenant,
libre à vous de vous laisser ensorceler...