Le voisin est indubitablement l'ennemi
de l'homme. Il n'empêche que sa proximité permet des observations
que son absence interdirait. Ainsi les miens me permettent de
peaufiner mes connaissances éthologiques.
Il se trouve que voici quelque temps
déjà les jeunes d'à côté ont ramené de Dordogne quelques
poules. Un deuxième arrivage compléta la basse-cour. Lequel
comprenait également un lapin de belle taille. La cause de ce
dernier ajout tient à mes yeux du mystère car n'étant visiblement
destiné ni à la cuisine ni à la reproduction, à part tenir
compagnie aux poules ou réjouir les enfants par sa seule présence,
je ne vois pas bien quel rôle il pouvait jouer. Toujours est-il que,
bien vite, ce rongeur se montra également fouisseur et, grâce à un
passage qu'il s'était ménagé, sortit de l'enclos. J'appris sa
fugue par la voisine. Quelques semaines plus tard, j'eus la surprise
d'apercevoir un animal noir et blanc que je pris d'abord pour un chat
aux abords du poulailler. M'approchant, je réalisai qu'il s'agissait
d'un lapin. J'allai prévenir sa propriétaire de ma découverte mais
celle-ci ne s'en montra pas impressionnée car depuis sa première
fugue, l'animal ne cessait de revenir. Au début, ils l'avaient
attrapé et remis dans l'enclos, mais vu sa hâte à repartir
gambader ils avaient fini par se résigner à son côté vagabond et
le laissaient vivre sa vie. Ainsi, depuis quelques mois je l'aperçois
de temps à autre au milieu de ma pelouse ou ailleurs. Quand Elphy me
fait l'honneur de sa présence et qu'elle l'aperçoit, elle se met en
devoir de le courser mais, pour le plus grand bien de tous, ce n'est
pas demain qu'un yorkshire surpassera ce lagomorphe en vélocité. Je
conclus de cette histoire que le lapin est d'âme fidèle
contrairement à ce qu'en dit la rumeur. Va-t-il, s'accouplant avec
quelques femelles rustiques, peupler les prés environnants de
lapereaux bi- voire tricolores ? Dans ce cas, je vous en ferai
part...
Photo prise hier matin |
Le coq, c'est une toute autre histoire.
Je le crois sujet à la neurasthénie. Dès le lever du jour et même
avant, il lance vers le ciel un cri désespéré autant que
dis-harmonieux. J'ai peine à l'entendre. Il arrive que ses crises de
spleen le prennent à tout moment et que lui échappe son lamento
criard. Quelles tristes pensées le lui arrachent ? Quels
tourments le torturent ? Pourtant, certains l'envieraient. Au
début entouré de cinq poules, son harem s'est agrandi suite à des
naissances. Ne le soupçonnant pas très sourcilleux sur la question
de l'inceste, le gaillard dispose d'une dizaine de compagnes dont
aucune ne semble farouche. Certaines, à peine nubiles, devraient
titiller sa libido. Eh bien malgré tout ça, Monsieur n'est pas
heureux, Monsieur lance de poignants appels auxquels personne ne
répond si ce n'est quelque lointain coq par un cri plus lugubre
encore. MALGRÉ ou A CAUSE de tout ça ? Et si cette
surabondance de partenaires ne faisait qu'aggraver sa dépression ?
« Omne animal triste post coïtum, praeter gallum
mulieremque.* » Je crains que le bon Galien de Pergame ne
se soit mis le calame dans l’œil en écrivant ces mots : doté
d'un appétit hors normes, ce malheureux volatile ne verrait-il pas
se multiplier les épisodes dépressifs ? Dans ce cas, le paradis
qu'Allah promet aux martyrs ne s'avérerait-il pas plutôt un enfer ?
La récompense une punition ? N'en sachant rien, je me
contenterai de constater à quel point l'observation des mœurs
animales peut plonger l'homme dans un abîme de vains
questionnements.
* « Après le coït tout
animal est triste à l'exception du coq et de la femme ; »
On peut également en inférer que Mme Galien éclatait de rire
après (voire même au cours de) leurs ébats.