M. Gary-Ajar écrivit
dans L'Angoisse du roi Salomon « La pire chose qui puisse
arriver à un malheur c'est d'être sans importance. »
Triste constat ! Quoi de plus intéressant qu'un bon gros
malheur ? De ceux qui vous foutent une vie en l'air ?
Seulement, c'est surtout celui ou celle qui l'éprouve qui en mesure
toute l'importance. Les autres s'en tamponnent souvent grave comme
ils le font des bonheurs d'autrui, d'ailleurs. Il faut dire que des
malheurs, tout le monde en connaît, de la tasse de café renversée
sur la robe juste avant que ne s'ouvre le bal à la perte d'un être
cher, de la commande d'Amazon qui s'égare à la longue, pénible et
fatale maladie, ce n'est pas ce qui manque. Notre vie en est
parsemée. Certains les collectionnent, d'autres en sont relativement
épargnés mais leur profusion même nuit gravement à la
considération qu'ils réclament.
Face au(x) malheur(s)
chacun réagit à sa manière. La phrase-cliché de ce boute-en-train
de Friedrich Nietzsche « Tout ce qui ne tue pas rend plus
fort » remporte l'adhésion des uns tandis que pour
d'autres certaines blessures ne cicatrisent jamais et transforment ce
qui leur reste de vie en un interminable chemin de croix. Question de
résilience, je suppose. Confrontés aux mêmes épreuves, certains
s'y noient ou se complaisent dans leur souvenir, d'autres, bien que
non épargnés par la souffrance passent plus ou moins vite à autre
chose. Question de sensibilité ? En l'absence d'appareils de
mesure fiables, comment évaluer une notion si floue ? Est-il
pertinent d'établir une échelle de valeur entre les personnes
« sensibles » et celles qui le semblent moins ?
L'empathie est une
faculté appréciée. En être plus ou moins dépourvu est mal vu.
Seulement, toute développée qu'elle soit, celle-ci ne peut être
que sélective. Il y a tant de malheurs au quotidien que non
seulement on n'as pas connaissance de tous mais même parmi ceux dont
on est informé on est contraint d'effectuer un tri. On gère son
affliction, même relative. Certains deviennent « Charlie »,
« Paris » mais pas « Ouagadougou ». On ne
saurait être tout. D'ailleurs la relative proximité favorise
l'empathie au point que l'on peut se demander si la peine ressentie
face à certains drames n'est pas due à une peur que cela puisse
leur arriver... J'entendais hier à la radio un psy raconter que
certains de ses patients faisaient d'insupportables cauchemars où
ils se trouvaient au Bataclan en pleine tuerie bien que ni eux ni les
leurs n'y aient jamais mis les pieds. Ce qui me plonge dans des
océans de perplexité. L'humain m'apparaît bien bizarre.
Je ne peux m'empêcher de
penser que pour certains le malheur donne un sens à la vie. Une
sorte d'axe tragique autour duquel tout s'articule. Comme une
justification à leur vision désespérée de l'existence. Non
contents de se crucifier, ils militent au sein d'associations afin de
promouvoir leur douleur particulière au rang de cause au moins
nationale. Comme si, un par un, en s'appliquant, on parviendrait à
éradiquer toutes les sources de malheurs présents et à venir.
Curieux optimisme !
Ces quelques
réflexions me furent inspirées par la lecture du Journal
de M. Goux où en date du 17 décembre il décrit certaines
militantes intransigeantes de nobles causes. Je ne saurais trop
recommander la lecture de cette livraison (et de toutes les autres)
car on y traite également d'attente dans les garages Volvo, de mœurs
canines, de livres, de soirées électorales et de bien d'autres
sujets graves.