J’ai eu la joie de trouver hier, dans ma boîte à lettres une
carte que ma fille m’envoyait de Fontenay, abbaye cistercienne bourguignonne.
Outre le plaisir que procure toujours une pensée et la satisfaction qu’on
retire de voir que le goût pour les visites de monuments qu’on lui a inculqué
dès son enfance demeure partagé par une quasi-trentenaire, j’ai eu la surprise
de voir que la douzaine de lignes qui en couvrait le verso était exempte de
fautes d’orthographe.
Ma fille appartient à une génération à laquelle on a négligé
d’enseigner la morphologie comme les
règles qui régissent les accords grammaticaux. Lorsque, un peu inquiet du
nombre de fautes qu’elle commettait, j’essayais de lui rappeler telle ou telle
règle, j’ai maintes fois pu constater que cela la laissait aussi perplexe qu’une
poule à laquelle on aurait offert un couteau suisse. De plus, du fait que l’on
n’avait jamais particulièrement insisté sur l’orthographe au cours de sa
scolarité, elle ne semblait pas accorder grande importance à une discipline
qui, selon la formule attribuée à Napoléon « est la science des ânes ».
Cette formule peu élogieuse, aurait,
dit-on, été créée pour excuser la piètre orthographe de l’empereur. Elle est cependant
à double tranchant car ne pas maîtriser ce dont une bête supposée stupide est
capable fait de vous son inférieur…
On pourrait adresser à l’orthographe française dont l’évolution
complexe est en partie liée à celle de la centralisation de l’état de nombreux reproches
parfois justifiés. Si le français a choisi une orthographe plus étymologique
que phonétique, contrairement aux autres langues romanes, ce n’est pas toujours
sans raisons. Du fait du renforcement de l’accent tonique sous l’influence des
envahisseurs germains, les syllabes finales latines se sont amuïes donnant
naissance à de nombreux homophones comme vers (à la fois préposition, poétique et
lombric), vair (dont on fait les pantoufles), verre (matière), vert (couleur).
Il est évident que le contexte permet généralement de lever l’ambiguïté car si
on vous offre un verre, vous ne vous attendez pas à recevoir un asticot. Toutefois, une orthographe phonétique exige une certaine
homogénéité des accents et aussi l’abandon de formes patoisantes, ce qui, jusqu’à
une époque récente n’était pas le cas (et ne l’est toujours pas dans certaines
régions au point qu’un Ch’timi et un Béarnais
pur sucre auraient bien du mal à
communiquer s’ils écrivaient phonétiquement). Que le choix fait ait été
phonétique ou étymologique, il n’empêche que l’orthographe est toujours
normative et facilite la compréhension écrite.
La réformer en profondeur n’aurait pour effet que de perturber les
lecteurs habitués aux anciennes graphies et ne dispenserait en aucun cas les
nouveaux utilisateurs d’apprendre les nouvelles.
On m’objectera que l’on peut très bien communiquer par un
langage SMS fait d’abréviations, de phonétique, de mots anglais plus courts, d’épellations
ou de rébus typographiques. Certes. Mais je crains que cette possibilité soit
liée au contenu : il s’agit de faire part d’informations ou d’émotions simples,
excluant style, mots rares ou nuances, bref d’un système de base adapté aux messages de base.
De plus, et ce n’est pas négligeable, la dysorthographie est
un marqueur social. Une lettre bourrée de fautes classe son auteur dans la
catégorie des rustres y compris pour ceux qui font autant d’erreurs que lui
tant il est commun de voir les fautes des autres sans remarquer les siennes. A mes
élèves qui mettaient en avant le « fond » de leurs textes pour en excuser
la piètre forme, j’opposais la métaphore qui suit : « Que
diriez-vous d’un homme (ou d’une femme) portant des vêtements de bonne coupe et
de belle étoffe qui seraient maculés de taches aussi diverses que nombreuses ?
Que c’est un (e) élégant ( e) ou un (e) cochon (ne)? »
Résumons-nous : l’orthographe conservant toute son
importance, ne serait-il pas préférable de lui rendre la place qu’elle mérite
dans les cursus primaire et secondaire plutôt que d’obliger les jeunes à faire
ensuite de grands efforts pour la maîtriser, conscients qu’ils sont devenus de
l’importance sociale (et professionnelle) qui s’y attache ? Vous me direz
qu’on ne peut pas être à la fois au « genre », au Bled et au Bescherelle…