Alors que l’ensemble des Français éprouve un sentiment de
profond désespoir suite au crash du vol d’Air Algérie où périrent 54 de nos
compatriotes (en comptant les bi-nationaux), j’ai beau faire un examen de
conscience approfondi (128 points de contrôle, quand même !) eh bien je ne
sens en moi aucun signe particulier de détresse. Je dois être un monstre. Il
faut dire qu’aucune des victimes n’étant de ma famille proche, de mes amis ou
habitant ma commune, je suis bien moins concerné que les braves gens qui
viennent exprimer leur douleur dans le poste. Si M. Hollande réunit une cellule
de crise et reçoit les familles endeuillées à l’Élysée, c’est pas pour des
prunes, quand même ! Si les trois ministres
concernés* tiennent une réunion de presse commune, c’est que l’événement est d’importance
nationale ! Eh bien malgré tout ça, et le reste, je demeure de marbre.
Cette indifférence est d’autant plus inexplicable que les disparus étaient tous
des gens d’exception, de ceux qu’on regrette de n’avoir pas rencontrés. J’en
arrive à la triste conclusion qu’il a dû se passer dans mon enfance ou plus
tard au cours de ma vie un ou plusieurs événements qui ont eu pour conséquence
d’inhiber cette naturelle tendance à l’empathie qui rend l’humain vraiment
humain.
A moins bien entendu que les gens dont l’émotion ne dépasse
pas, dans le meilleur des cas, une vague pensée de convenance pour le deuil des
familles concernées ne constituent une immense majorité des Français et que
ceux qui se déclarent choqués ou attristés ne le fassent que parce que se
déclarer indifférent est impossible en nos temps de grande compassion. L’unanimisme
dans la joie comme dans la peine me paraît aussi ridicule que faux. Après tout,
54 victimes, c’est 7 de moins que n’en font par semaine les accidents de la
route en France et quatre fois moins que
n’en font dans le même temps et dans le seul hexagone les accidents
domestiques. Est-on supposé pleurer à chaudes larmes sur le sort de ces
malheureux défunts (tous probablement personnes d’exception) ? Il est vrai que pour qu’on s’émeuve, il faut
que l’accident routier fasse un nombre minimum de victimes ou que l’électrocuté
de la baignoire soit un chanteur populaire.
M . Pangloss, blogueur de talent a ce vendredi dans un
billet magistral, dénoncé l’hypocrite compassion des ministres qui s’empressent
de se rendre sur les lieux du moindre drame (à condition bien entendu qu’il s’agisse
d’un drame « bankable » car si le ministre de l’intérieur honore le
lieu de décès d’un policier mort en service d’une visite, celui du logement ne
s’est jamais senti obligé d’aller pleurer le moindre ouvrier du bâtiment alors qu’ils
sont plus d’une centaine à mourir d’un accident de travail chaque année). Il y
fait par ailleurs une suggestion tout à fait intéressante. Je ne reviendrai
donc pas sur ce point qui pourtant m’agace au plus haut point…
En fait, quand je déclare une honte supposée, je suis aussi
faux-jeton que ceux qui se disent bouleversés. Des morts par accident, il y en
aura toujours, elles sont souvent bien tristes, mais qu’y peut-on ? Cette manie de la compassion sélective n’a même
pas le mérite d’être apparu récemment. Il y a plus d’un siècle l’incendie du Bazar
de la Charité ou le naufrage du Titanic avaient connu de beaux succès et fait
vendre bien du papier. L’être humain aime les catastrophes. Elles lui offrent l’occasion
d’afficher une sensibilité affectée et
effacent comme par magie son indifférence coutumière à bien des drames qui,
faute d’être spectaculaires, n’en sont pas moins d’une gravité supérieure.
*Pourquoi seulement trois ? Ils sont tous concernés de
près ou de loin, non ?