Voyager demeure une source d’expériences enrichissantes. Ce
ne sont pas les Espagnols qui en leur Siècle d’Or contèrent les aventures des
Picaros qui me démentiront. Ainsi ai-je pu, tandis que ce matin nous faisions quelques achats alimentaires
dans le leader Price local, assister à une scène propre à plonger nos plus
abrutis bobos dans un océan de perplexité. A moins, bien entendu que leur
phénoménale capacité à ignorer ou à reconstruire la réalité ne leur permette de
tirer une leçon positive de ma narration.
Or donc, tandis que nous nous apprêtions à régler nos achats
(on est traditionnaliste ou on ne l’est pas), entendîmes-nous, le vigile qui se
trouvait derrière les caisses intimer d’une voix forte à un groupe de clientes
de bien vouloir remettre les produits dont elles s’étaient emparées dans leur
panier ou en rayons car autrement elles
se verraient arrêtées et poursuivies pour vol lors de leur passage en caisse. Le
vigile, comme il se doit, se trouvait être d’origine africaine et de haute
stature. Ce qui aura son importance par la suite.
Les victimes de ces odieuses menaces, trois femmes d’âges
divers mais dont le teint trahissait une longue exposition aux ardeurs de l’astre
solaire, quittèrent quelque temps plus tard le magasin sans pour autant
négliger de s’en prendre avec véhémence à leur tourmenteur. Du discours de leur
meneuse, il ressortit que ces trois honnêtes clientes avaient été victimes du
plus odieux des crimes qui se puisse imaginer en notre époque où le délit est
pourtant devenu un mode de vie : le racisme, puisqu’il faut l’appeler par
son nom ! Les honteuses accusations auxquelles elles avaient été en butte
étaient dues au fait qu’elles étaient Gitanes ! Eussent-elles été Gauloises ou Marlboro nul n’eût
osé souiller leur honneur d’un tel affront. Gardant son calme, le débonnaire
vigile leur assura que ses propos n’étaient nullement dus à un quelconque
préjugé envers une communauté dont nul ne saurait contester la pointilleuse probité
mais à ce qu’avaient montré d’indiscrètes caméras de surveillance comme il
arrive qu’en installent en leurs locaux les commerçants dont la confiance en l’humain
n’est que partielle. Son interlocutrice le somma de lui montrer les images
incriminantes, elle n’alla cependant pas jusqu’à dire que placer la viande dans
ses collants était une technique de pré-cuisson permettant de gagner un temps
précieux lors de sa préparation. Le bon
Noir lui proposa de les lui montrer. C’est alors que la brave dame se mit à
battre la campagne, commettant dans son emportement le crime même dont elle se
disait victime de la part de son persécuteur : elle le traita de « ramasseur
de coton » (l’assimilant ainsi aux malheureux esclaves des plantations du
Sud des États-Unis) et s’avoua d’autant plus offensée de voir sa fierté bafouée
de la sorte par un Noir. On la sentait au bord de remettre d’une gifle méritée
le présomptueux à la place que lui désignait sa triste nature.
Après avoir juré que le magasin n’était pas près de
bénéficier à nouveau de leur clientèle, les trois femmes sortirent. Un employé
revint vers la caisse en déclarant avoir trouvé dans divers rayons une douzaine
de magrets de canard. La caissière confirma que depuis une quinzaine de
jours un groupe de « Gens du voyage » récemment installé sur la
commune venait en permanence commettre des larcins, changeant d’équipe chaque
fois que les voleuses se voyaient
repérées…
Tentative d’interprétation antiraciste :
- La crise qui touche les plus précaires d’entre nous les réduit à voler leurs magrets dans des magasins discount.
- Les sociétés de la grande distribution par une politique de prix exagérés amènent diverses communautés défavorisées à s’affronter en des conflits sans fondement.
- M. Étienne ne se contente pas d’inventer d’invraisemblables histoires mais les conte sur un ton goguenard montrant sa profonde indifférence face à la misère qu’il n’hésite pas à taxer de tous les vices, pendons-le !