dimanche 29 novembre 2020

Assimilation

 



Je suis d’origine bretonne. Surtout du côté de ma mère et de mon père, tous deux nés dans le Trégor, l’un sur la côte (Armor) l’autre dans les terres (Argoat) Tous deux parlaient couramment le breton dans sa variante trégoroise. A une différence près : chez mon père on ne parlait en famille que cette langue tandis que du côté maternel on s’exprimait en français du fait que la famille avait recueilli un certain M. Le Fustec (nom de jeune fille de ma mère) qui, retraité et à la recherche de ses racines leur était un jour arrivé de Paris. Bien qu’il ne fut pas vraiment apparenté à mon grand-père, celui-ci lui loua la petite maison adjacente à la sienne et il prit ses repas « en famille ». Par politesse, vu qu’il ne parlait pas un traître mot de breton, on n’utilisa dès lors que le français en sa présence.

Autre différence : mes grands parents maternels parlaient bien français. Le grand-père avait son Certificat d’études ! Du côté de mon père, c’était moins brillant. Je crains qu’ils n’aient pas fréquenté l’école et leur français était approximatif. Quoi qu’il en soit, ce fut à l’école que mon père rencontra le français et que ma mère peaufina le sien. Savoir très utile car les vicissitudes de la vie firent qu’à la fin des années quarante ils se virent contraints de quitter leur pays natal pour s’installer à Paris puis dans sa banlieue.

Pour eux, toutefois, ce fut ressenti comme un exil temporaire. Seule la Bretagne comptait. On fréquentait ceux de la famille qui avaient émigré, d’autres exilés de leurs villages, on allait en vacances en Bretagne, on fréquentait la Mission bretonne de Paris, on était abonné à La Bretagne à Paris et surtout, surtout, le temps de l’exil terminé, on retournerait y vivre. On y fit bâtir d’abord une maison de vacances puis une maison pour la retraite. On réalisa ce rêve de retour au pays. Ce fut une déception pour ma mère car entre un pays rêvé et le pays réel, il existe pour le moins des nuances.

Et moi là-dedans ? Tout d’abord, bien que né en proche banlieue, à cause de l’exiguïté du logement, on m’expédia jusqu’à mes deux ans et demi en nourrice chez une amie de ma mère, dans son village natal. Il paraît que j’en revins parlant français (avec un fort accent breton) mais aussi, selon la grand-tante qui avait accompagné mon retour en train, le breton. Il faut croire que le changement brutal de famille et d’environnement fut fatal à ce dernier savoir car je n’en conserve aucun souvenir. Chez nous on ne parlait que français. Le breton était réservé aux échanges houleux dont mes parents ne désiraient pas que nous connaissions la substance. Leur code secret, en somme. Du coup, en dehors de quelques dizaines de mots, je n’en connais rien.

En dehors du début des années soixante-dix où souffla un fort vent de « bretonnitude » (Tri Yann, Glenmor, Stivell, Servat ; succès en librairie du « Cheval d’orgueil » de Per-Jakez Hélias, etc.) et où mon entourage d’alors s’y prêtait, mon sentiment d’appartenance à la Bretagne alla s’étiolant au fil du temps. Ma mère mourut en 84, entraînant la fin des Noëls en famille. En dehors de quelques séjours dans notre maison de vacances, mes visites se firent de plus en plus rares. La maison vendue, le décès de mon père y mit fin. Mis à part quelques visites touristiques à Dol-de-Bretagne et à Saint-Nazaire où réside mon frère aîné, je n’ai depuis pas mis les pieds en Bretagne et jamais dans le Trégor.

Je ne me sens plus que Français. Je suis assimilé. Quand on me demande d’où je suis je réponds « de nulle part » faute de pouvoir dire « de France » ce qui ne renseignerait aucunement mon interlocuteur vu qu’il s’en doutait probablement déjà (en dehors des Anglais qui ont tendance à me croire Néerlandais quand je parle leur langue).

Je pense que ce phénomène d’assimilation est très fréquent chez les immigrés de l’intérieur de deuxième génération. Combien, du fait de leur sédentarité, de Le Braz, de Le Guen, de Le Fur, de Piriou, se déclarent Parisiens, Marseillais, voire même Normands ? Ayant mené une vie plutôt errante de pays en pays, de province en province, je ne me reconnais que dans la France, plutôt celle du Nord-ouest si l’on excepte mes escapades limousines. Je m’y sens chez moi. 

Depuis plus de neuf ans, je vis en Normandie. Je pourrais y demander ma naturalisation mais ce serait tricher car je ne me sentirai jamais Normand. Pas plus que Breton, Sénégalais, Anglais, Eurélien, Limousin, Tourangeau ou Berrichon. Je suis Français, de langue et de culture, j’aime la France : c’est tout.

12 commentaires:

  1. J'ai adoré ce texte ! Est-ce parce que moi aussi, je suis une assimilée qui ne se sent que française ? Ou est-ce parce que j'ai tant aimé la Bretagne, que lorsque j'y allais en vacances chez ma soeur qui avait épousé un Breton, j'ordonnais qu'au cas où je mourrais en Bretagne, que surtout on ne transporte pas mon corps ailleurs, mais qu'on m'enterre dans le petit cimetière de Coatreven dans le Tregor !

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    1. Un grand merci, chère Mildred. Quel dommage que vous ne vous racontiez de votre parcours que des bribes ici ou là. L'image qu'elles laissent rendent un peu floue l'idée qu'on peut se faire d'une jeunesse que je devine très mouvementée.

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  2. Il y a beaucoup de Corses qui aiment la France, plus que ne le montre la presse mais beaucoup moins qu'avant, (merci aux profs de langue corse tous indépendantistes) mais ils se sentent toujours Corses, même à New York ! Mes enfants n'ont qu'un seul grand-parent corse et c'est important pour eux

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    1. Il est des provinces comme Bretagne, Corse, Alsace, Pays Basque, par exemple exercent une certaine fascination chez leurs originaires.

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  3. J'aime beaucoup votre texte.
    Si je devais écrire le mien, il commencerait pareil (seule la région d'origine diffèrerait) et se terminerait pareil :
    "Je suis française, de langue et de culture, j'aime la France: c'est tout."
    Merci.

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    1. Merci. Je pense que nombre de Français de toute province ou origine partagent notre position.

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  4. Cher Fredi, d'abord merci pour le compliment, ensuite en matière de goût, vous connaissez les miens, j'ignore tout des vôtres à part que vous préférez une porte de grange pourrie à sa remplaçante, comme si, lorsqu'on avait installée la première on en avait choisie une pré-pourrie. Enfin, j'avoue être surpris par votre bretonnitude, vu qu'il me semble me souvenir que votre terre d'élection se trouve bien plus au sud.

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  5. Vous décrivez assez exactement le drame de l'homme moderne : sans liens, ni attaches, individu autonome,il pense qu'il n'existe que pour lui-même et par lui-même. Il ignore sa fonction, son origine et son destin. Il constitue une parcelle de ce monde atomisé dont parlait Charles Maurras. IL a oublié qu'il n'était qu'une minuscule partie d'un grand Tout,qu'un maillon dans la longue chaîne qui le relie à ses ascendants d'un côté et à ses descendants de l'autre. Il est un simple passeur. Il est entre ces deux chaînes infinies comme l'individu pascalien entre les deux infinis et son être n'est pas lui-même mais le lien qu'il constitue entre ces deux infinis. Et s'il regardait il verrait au bout de chacun de ces infinis la figure du Très Grand. Mais il ne regarde pas. Il a oublié ce qu'était un regard. L'homme moderne et misérable, dans son insensé orgueil, a oublié tout ce qui n'était pas lui .

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    1. Visiblement, vous n'avez pas saisi mon propos : il ne s'agit pas de nier la chaîne dont on n'est qu'un maillon mais simplement d'exprimer un choix entre une identité locale (bretonne) et une identité plus vaste (française), ce qui n'a rien de choquant vu que la Bretagne a été rattachée à la France depuis bientôt 5 siècles. Bien que non croyant, je me déclare catholique de culture : ma fille est baptisée et va se marier à l'église. Il se peut que je sois un maillon faible de la chaîne mais je ne souhaite nullement que celle-ci cesse de relier les générations.

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  6. Merci pour ce témoignage précieux pour moi - dont absolument tous les ancêtres français parlaient couramment le français au moins depuis le XIXe siècle et ce, des deux côtés, bien qu'ils soient de milieu social relativement distinct, et dont les origines sont plus diverses. La grand-mère de mon arrière grand-mère belge était née à La Nouvelle-Orléans. J'aime à dire que je suis aussi basque que belge. J'ai même quelques gouttes de sang indien (un mien aïeul, marchand en Inde, est enterré aux côtés de sa femme indienne à Calcutta). Même de l'autre côté, des ancêtres ont déménagé avec l'usine d'armement quand l'Alsace a été annexée par le Reich. J'ai aussi des origines limousines et Excideuil est une charmante bourgade qui a donné beaucoup de gloires à la France.
    Mais justement, quand on a des origines aussi pures que les vôtres, si j'ose dire, ne devrait-on pas renouer avec son appartenance régionale ? Le grand Nord-Ouest, c'est déjà une délimitation importante ("passé la Loire, c'est l'aventure", hein). Vos origines bretonnes viennent en quelque sorte redoubler votre appartenance française, elles lui donnent une épaisseur, elles ne la contredisent pas.
    Tiens, moi c'est la nationalité allemande que les ressortissants de pays anglophones ont eu tendance à m'attribuer.

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  7. J'oubliais de dire que j'ai aussi des origines bretonnes et ce, des deux côtés. J'en tire une certaine gloire.

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