vendredi 31 janvier 2020

A Montaillou, village occitan, plus ça change et plus c’est pareil




Lors de leur récent séjour, je me suis vu offrir par le chevalier servant de ma fille, entre autres ouvrages consacrés au Moyen Age, la célèbre monographie de M. Emmanuel Le Roy Ladurie Montaillou, village occitan de 1294 à 1324. J’avais depuis bien longtemps oui dire le meilleur de ce livre mais ne m’étais jamais soucié de le lire. L’occasion faisant le larron, j’entrepris la lecture de ce pavé de plus de 600 pages en petits caractères qui, s’appuyant sur le registre d’inquisition rédigé par Jacques Fournier, évêque de Pamiers, qui entre 1318 et 1325 traqua avec zèle et méthode les Cathares de la Haute Ariège et notamment ceux de l’humble village de Montaillou.

Le saint homme que sa dévotion et son ardeur à défendre la vraie foi élevèrent à la papauté sous le nom de Benoît XII était un habile interrogateur. Le contenu des quelque 578 interrogatoires concernant 90 dossiers, furent menés par lui en occitan local. Il possédait sur les dominicains de Carcassonne qui le secondaient, l’avantage, en enfant du pays, de parler la langue des villageois. Malgré toute leur bonne volonté, lors d’une précédente campagne d’éradication, en 1308, les disciples du bon Dominique, avaient laissé passer quelques menus poissons à travers les mailles de leur saint filet. Monseigneur Fournier s’étant fixé pour but de réparer cette négligence se montra donc d’une patience infinie et, traduites en latin, les déclarations des suspects furent consignées dans un fort volume que conserve la Bibliothèque Vaticane. Ces sept années d’efforts menèrent à cinq exécutions par le bûcher, 48 emprisonnements (parfois à vie) tandis que les autres accusés recouvrèrent leur liberté. Seuls quelques lépreux accusés d’avoir empoisonné les sources avec de la poudre de crapaud (le lépreux ajoutant à sa malignité foncière un coupable entêtement à se montrer taciturne) furent soumis à la torture suite à l’amicale pression qu’exercèrent sur l’évêque les Dominicains.

Ce qui inspira M. Le Roy Ladurie, au-delà des tracasseries infligées au braves Fuxéens par la Sainte Inquisition, est que la scrupuleuse transcription de leurs interrogatoires, permettait de brosser un tableau détaillé de ce qu’était la vie des habitants d’un village de la montagne pyrénéenne au début du XIVe siècle qu’ils soient (très relativement) riches, moins bien dotés ou pauvres. Le village est dominé par la puissante famille Clergue : deux frères , Pierre, curé aux mœurs perfectibles et Bernard, qui en tant que bayle représente le pouvoir du seigneur absent y tiennent le haut du pavé (si pavé il y a). Leur fortune ne les tiendra pas éloignés des tracas d'autant moins que leur pouvoir ne leur attire pas que des amitiés. Le curé sera arrêté le premier et les efforts financiers considérables que déploiera son frère pour qu’on le libère s’avéreront vains, le futur pape étant de la détestable race des incorruptibles. Bernard finira lui-même emprisonné. Constituée en grande majorité de bergers et de cultivateurs parfois éleveurs dont l’étendue des lopins varie mais reste toujours modeste tous les aspects de la vie de la population villageoise, dans ses détails les plus intimes, sont exposés au fil des chapitres de cette étude ethnographique.

Même s’il s’agit du travail d’un universitaire avec toutes les notes, références et redites que le genre implique, je ne saurais trop recommander la lecture de ce livre qui, s’il lui arrive de manquer de légèreté, n’en demeure pas moins, grâce à certaines remarques teintées d’humour, d’une lecture agréable et surtout d’un grand intérêt pour qui s’attache à tenter de comprendre les modes de vie et l’univers mental de nos lointains prédécesseurs.

Mais comment justifier mon titre ? La curiosité m’a poussé à vérifier si ce village de quelque deux cents âmes (parfois promises à la damnation) en ce début du XIVe siècle existait toujours. Google m’indiqua que oui, même si ses 17 habitants d’aujourd’hui sont le signe d’une probable et imminente disparition. Le catharisme y serait-il encore de mise ? Rien ne l’indique. La permanence que je signalais n’est due qu’au fait que depuis l’an de grâce 2001, l’édile qui préside aux destinées de Montaillou a pour nom Jean Clergue !





9 commentaires:

  1. J'appuie Messire Étienne, et recommande également ce livre chaudement.

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  2. 3ème paragraphe - 7ème ligne : "ne les tiendra pas éloignéS"
    Toujours au 3ème paragraphe : "constituÉS" plutôt que "constituée", le sujet étant : "les aspects de la vie" comme le confirme le fait d'écrire : "sont exposés",
    Quant à cet ouvrage, je me souviens qu'à sa sortie, il avait été offert à ma fille aînée qui était adolescente, d'où un intérêt accru de toute la famille pour les Cathares et leur funeste destin, d'autant qu'à peu près à la même époque, il y avait eu cette "Caméra explore le Temps"
    sur les Cathares.

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    1. D'accord pour "éloignéS". Mais c'est la population villageoise qui est composée tandis que les aspects de sa vie sont détaillés.

      Le côté cathare du livre ne me paraît pas essentiel. Ce qui a permis à Le Roy Ladurie de ressusciter la vie quotidienne du village, c'est, comme il l'indique, la méticulosité des notes du bon évêque même si son but premier était la chasse au Cathare (à ne pas confondre avec celle au canard).

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  3. Et cet édile est-il un descendant de la famille de ce temps ?

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    1. Difficile à savoir. Mais cette coïncidence m'a amusé...

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  4. Petite coquille ou retour vers le futur "Montaillou, village occitan de 1394 à 1324". Il s'agit bien sûr de 1294 à 1324.

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  5. Après tout qu'est-ce que c'est que sept siècles, ça passe très vite!
    Mais ce genre d'ouvrage vaut en effet son pesant d'or, le Moyen-Age est passionnant!
    Amitiés.

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