dimanche 13 avril 2014

Aventures inouïes



Peut-être vous inquiétâtes-vous de mon silence d’hier. En ce cas vous ne seriez pas seuls car m’est parvenu du district de Jinst (province de Bayankhongor), ce matin même,  un mail s’enquérant des raisons de mon mutisme.  Je me contenterai donc de retranscrire ce message et ma réponse.

A vous, illustrissime maître dont la pensée illumine le Monde, respectueux salut !*
Les ténèbres ont envahi mon âme, mon samedi fut triste comme des funérailles de belle-mère sans lait de jument fermenté : tout au long du jour, j’ai, faisant les cent pas dans la yourte, attendu vos paroles de sagesse. En vain ! L’angoisse m’étreint et, comme la saïga tartarica ivre qui bondit en tous sens dans les steppes mongoles, mon esprit s’est perdu en tristes conjectures : seriez-vous malade ? Un accident vous aurait-il ôté la vie ? Le dictateur Hollande vous retiendrait-il en ses geôles ? Rassurez-moi vite si vous le pouvez !
Bisous enfiévrés** de votre féal Nambaryn

*Le Mongol est de jugement très sûr.
**Il se montre parfois un peu trop affectueux et familier!

Mon Cher Nambaryn,

Rassurez-vous : rien de ce que vous craigniez ne s’est produit. Si je me suis trouvé éloigné de mon clavier, c’est qu’un incident domestique, de ceux qu’heureux nomades vous ignorez, m’est advenu. Dimanche dernier, après que j’y eus nettoyé pinceaux et rouleau, les bacs de mon évier refusèrent avec un entêtement de mazaalai* de se vider. Suspectant  le syphon d’être bouché, j’entrepris de le démonter, provoquant ce faisant un début d’inondation de la cuisine. Hélas, tel n’était pas le problème !  Le blocage venait de plus loin. Un flacon de déboucheur acheté le matin suivant se montra inopérant. Je me résolus donc à acheter  un furet et en  fis l’emplette sur Internet. Entendons nous bien avant qu’on ne m’accuse de cruauté envers les animaux : il ne s’agissait pas de l’adorable mustélidé domestique mais d’un câble d’acier torsadé qui, introduit dans une canalisation, s’y faufile avec la souplesse du mammifère éponyme et  en expulse les matériaux qui l’obstruent.  Du moins en théorie. Ce vendredi, la zélée préposée des postes déposa l’outil convoité  dans ma boîte à lettres.  N’ayant relevé ladite boîte qu’au soir, je remis donc l’opération au matin suivant. Armé de mâle décision et de mon furet, le lendemain je m’attelai à ce que je pensais devoir être une simple formalité. Et c’est là qu’un destin cruel m’infligea une première désillusion. La souplesse du câble se montra incapable de passer avec succès le troisième coude du conduit de 40 mm. Une âme forte ne se laisse pas ainsi décourager ! Je décidai de prendre l’ennemi à revers en démarrant du regard ou les différents conduits convergent avant que leurs flots ne rejoignent la fosse. Les conduits étant alors de 100 mm, l’introduction du furet en fut facilitée. Comme vous dites à Jinst, ça rentra comme papa dans maman. Sauf qu’en l’occurrence, maman s’avéra après quelques mètres complètement bouchée.  Ajoutant un crochet au bout de mon furet, je le fis tournicoter en tous sens  arrachant des morceaux  d’une matière gluante et putride propre à faire vomir un rat des steppes mort. Mais l’évier continua de refuser de se vider. De nouvelles tentatives firent naître un fol espoir : de gros blocs de matière innommable se détachèrent d’un coup me faisant croire à la disparition du bouchon maudit. Hélas, il n’en était rien. C’est alors qu’une idée me vint : et si au lieu du furet, j’introduisant le tuyau d’arrosage dans le conduit et y faisais couler de l’eau ? Ce qui fut fait  mais malgré un relatif succès, l’eau ne s’écoulait toujours qu’à regret.  Je pris alors une décision héroïque : si c’était à un coude  que se trouvait l’obstacle, pourquoi ne pas creuser  à l’endroit où était censé se trouver ledit coude, couper le conduit, et en extirper l’immonde masse gluante. Aidé de ma fidèle compagne, nous creusâmes. Une heure d’efforts nous permit de dégager un conduit. Hélas, après vérification, nous dûmes constater qu’il s’agissait de celui qui évacue l’eau des gouttières.  C’est alors que du fond de ma mémoire surgit une vision : celle du fils de mon plombier  forant avec force plaintes et ahans, à l’aide d’une énorme chignole le mur de la maison afin qu’y passe le conduit d’évacuation de l’évier. Il y avait donc un autre accès pour prendre l’ennemi en traître. Après le repas, je me mis à creuser à l’endroit supposé et mis bien vite à nu le raccordement. Un saut au magasin de bricolage me permit d’acquérir le matériel nécessaire à la subséquente réparation du conduit et, une fois le raccord coupé, nous attaquâmes le félon par derrière. Furet, tuyau furent des heures durant mis en œuvre. Le succès se fit attendre. Et puis, finalement lors d’une énième tentative de vidage d’évier d’inquiétants borborygmes s’échappèrent  du regard avant qu’un flot liquide ne l’atteigne, charriant d’énormes masses de nauséabonde matière. L’évier s’était vidé bien vite. De nouveaux essais confirmèrent le désengorgement.

Il était tard mais nous avions vaincu. N’est-ce pas là l’essentiel ?

Ainsi s’explique mon silence.

Vous espérant rassuré, je vous prie d’agréer, Cher Nambaryn, avec mes remerciements pour votre bienveillante sollicitude, l’assurance de mes sentiments dévoués**.
 
*Ours de Gobi
**Gardons nos distances !

20 commentaires:

  1. Boire et déboire d'un évier magistralement évoqué.

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  2. Heureusement que ce n'était que votre évier qui était bouché ! Imaginez ce qu'il en aurait été si cela avait été vos toilettes.

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    1. C'eût été bien plus simple car la canalisation est très courte tandis que l'autre dépasse les 15 m...

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  3. "Attaquer le félon par derrière". J'adore !

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  4. Cette lecture m'a accablée. Moi j'aurais appelé un plombier.

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    1. Un plombier le week-end ? Et puis, vue la difficulté de la tâche je n'ose penser au montant de la note !

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  5. Votre énergie et votre ingéniosité m'en bouchent un coin. Votre furet est-il disponible?

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  6. Vous devriez mettre cela en vers, ça ressemblerait à du Victor Hugo, un combat de cette ampleur, me direz vous,
    secrète par lui même son propre souffle épique (même s'il se révèle un peu nauséabond).
    Permettez moi d'admirer, aussi, votre remarquable faculté de vous mettre à la portée du destinataire, fut-il un
    Mongol des Steppes, seule une vaste culture et un sens aigu de l'humain permettent cela.
    Sans compter qu'après des coups pareils, il faut bien se laver les mains deux ou trois fois!
    Amitiés.

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    1. Il est vrai que ce combat est en soi épique. Je regrette cependant de ne pas l'avoir relaté en alexandrins classiques.

      Je ressens une véritable empathie pour le Mongol. Il semble que ce soit réciproque. A défaut d'être un citoyen du monde, je me verrais volontiers l'être d'Oulan-Bator ou de Jinst.

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  7. Maître Jacques, je reste bouche bée devant tant de science mêlée à tant de courage. A défaut d'écrire en alexandrins j'espère du moins que vous n'oublierez pas d'écrire vos mémoires, et d'en envoyer un exemplaire dédicacé a chacun de vos fidèles admirateurs (enfin disons vos PLUS fidèles admirateurs, sinon ça ferait trop).
    J'attends le mien avec une impatience qui n'a d'égale que mon admiration pour vos qualités sans nombre.

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    1. Cher Aristide, vous savez que j'ai en horreur d'être flatté comme de flatter, c'est donc en toute sincérité que je salue votre jugement et que j'ose vous dire que vous mériteriez d'être Mongol tant vos qualités sont insignes. Pour l'ouvrage, nous verrons car le jardinage s'apprête à consumer mon temps...

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  8. Après tous les éloges lus ci-dessus, il ne me reste plus qu'à saluer le sang-froid dont vous fîtes preuve au cours de ces nombreux rebondissements. J'imagine que votre opiniâtreté fait de vous désormais un authentique Normand.

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    1. Et le côté têtu du breton d'origine que je suis, vous le passez à la trappe ?

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  9. Epique combat que nous chante un nouvel Homère, mais...

    c'est avec une certaine inquiétude que le lecteur (et même la lectrice) se demande ce que sont les "matières innomables" que vous vous plûtes à jeter dans votre évier....

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    1. Vous soulevez là un bien grand mystère. Il se peut que le nettoyage de mes outils depuis des années y ait déposé des restes de plâtre, de peinture qui s'agglomérant avec des graisses aient permis à des champignons de proliférer. De plus, le tuyau à faible pente s'étendsur plus de 15 m...

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  10. et bé ! je reste béate d'admiration ! un homme '( et sa compagne tout de même ) sont donc capables de tels travaux qu'hercule aurait peut-être ,hésité à entreprendre !

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