mardi 29 octobre 2013

Sacré Renaud !

De temps à autre me prend l’envie de me renseigner sur tel ou tel sujet. Aux temps pré-informatiques, je le faisais à l’aide de mon dictionnaire encyclopédique. Un article menant à un autre, je suivais les Turco-Mongols au gré de l’expansion de leur immense empire, ou les multiples ramifications de telle ou telle famille d’hyménoptères… Passe-temps innocent ! Depuis une quinzaine d’années, c’est sur le net que de lien en lien je pars à l’aventure. Un voyage en Sicile, il y a plus de dix ans déjà m’avait sensibilisé à la destinée prodigieuse de la famille de Hauteville partie d’un obscur fief normand à la conquête d’un royaume. M’installant progressivement dans le beau département de la Manche, je visitai un peu plus tard le village de Hauteville-la-Guichard supposé être le berceau de la  remarquable fratrie que composèrent les onze fils de Tancrède qui, « comme un vol de gerfauts hors du charnier natal » allèrent tenter leur chance dans le Sud de l’Italie puis en Sicile avec le succès que l’on sait.

Mes « recherches » m’amenèrent de fil en aiguille à suivre Bohémond de Hauteville, prince de Tarente qui s’empara d’Antioche et se tailla une principauté aux alentours avant que, fait prisonnier par l’émir de Sivas, son neveu Tancrède, devenu prince de Galilée, ne s’en vit confier la régence. Retracer les péripéties que connurent Bohémond, Tancrède et leurs descendants ou alliés, les rivalités de clans entre croisés, les brusques renversements d’alliances, serait œuvre de Bénédictin. Toujours est-il qu’en suivant leurs traces, j’en vins à rencontrer un personnage encore plus étonnant par ses « exploits » :  Renaud de Châtillon qui devint en 1153 le second époux de Constance, princesse régente d’Antioche et petite fille de Bohémond.

Dire que le désir de protéger la Terre Sainte des musulmans fut le seul ressort qui anima ce cadet sans fortune serait sans doute exagéré. Car le bougre se montra tout au long des soixante-sept ans de son existence d’une rapacité et d’une cruauté insignes. De plus, il avait mauvais caractère : apprenant que le patriarche d’Antioche, Aimery de Limoges avait médit de lui, il le fit jeter en prison et torturer avant de l’exposer en plein soleil, enchainé et ses blessures enduites de miel afin qu’elles attirassent les insectes. Gageons que cela encouragea ses éventuels détracteurs à mesurer leurs paroles…

Afin de se rembourser des sommes qu’il estimait lui  être dues par le basileus Manuel 1er Comnène, il s’en alla razzier l’île de Chypre et avec ses troupes s’y livra à de multiples « incivilités » comme le viol, la prise d’otages, les exécutions sommaires et pour couronner le tout, ayant rassemblé prêtres et moines grecs, il leur fit couper le nez avant de les renvoyer à Constantinople. Ses débiteurs durent y voir un encouragement à honorer leurs obligations…

Toutefois, le basileus ayant repris du poil de la bête et menaçant Antioche, le brave Renaud jugea judicieux,  quelques années plus tard, d’aller implorer, la corde au cou, le pardon de ses errances cypriotes. Bon prince, l’empereur le lui accorda.

Hélas, un triste jour de novembre 1160, alors qu’il se livrait à quelque innocent pillage, des soldats turcs le firent prisonnier. Sa captivité dura seize ans. On ne sait si sa libération fut due à un échange de prisonniers ou au versement d’une rançon de roi…

Revenu à Jérusalem, notre héros, toujours gaillard mais non assagi, devenu veuf durant sa captivité, épousera en sa  cinquantaine finissante une jeune dame dont l’alliance fera de lui le seigneur consort d’Outre-Jourdain et d’Hébron. Pour se délasser il pillera en 1181 une caravane se rendant à la Mecque. Cette nouvelle espièglerie irritera fort Saladin car elle eut lieu alors que ce dernier avait signé une trêve avec le Roi Beaudouin IV de Jérusalem. On dit même que c’est à cette occasion que l’irritable souverain ayyoubide jura de le tuer de ses propres mains. Toutefois, l’influence de Renaud à la cour de Baudouin et son ascendance sur le roi étaient telles qu’il ne pâtit aucunement de cette peccadille.

Les années suivantes le verront dévaster les côtes du Hedjaz, couler un bateau de pèlerins se rendant à La Mecque, et accessoirement piller une caravane reliant l’Égypte à Damas. La routine, quoi. Seulement, cette routine finit par agacer Saladin dont nous avons déjà pu noter le tempérament irascible. La trêve sera rompue, la guerre déclarée au royaume de Jérusalem et les Francs défaits à la bataille de Hattin, le 4 juillet 1187. Fait prisonnier, Renaud sera alors immédiatement décapité d’un coup  de sabre par Saladin lui-même lequel se montra ainsi homme de parole sinon de miséricorde.

Y a-t-il une morale à cette histoire ?  Faut-il considérer l’histoire d’un point de vue moral ? Je vous laisse le soin de répondre  à ces questions… Quoi qu’il en soit, la vie aventureuse de Renaud si elle s’éloigne par bien des points de l’hagiographie n’en demeure pas moins sinon exemplaire du moins révélatrice du fait qu’entre le XIIe siècle finissant et le XXIe commençant le comportement des élites franques s’est notablement modifié…

12 commentaires:

  1. C'est le moins qu'on puisse dire!
    Précisons toutefois que les seules Francs qui nous restent sont également Maçons, ça peut expliquer...
    En tout cas, sacré Renaud! Il nous en faudrait de nos jours des hommes de cette trempe, j'ai vu, dans le domaine de la navigation, certains hauts faits du personnage qui nous font cruellement défaut aujourd'hui...
    Mais, chut! n'en disons pas plus, des oreilles ennemies nous écoutent...
    Amitiés.

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  2. Vous avez raison: le temps a passé. Les Francs d'aujourd'hui reculent devant les Bretons.

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  3. On peut "voir" Renaud , interprété par Brendan Gleeson, dans le Kingdom of Heaven de Ridley Scott...

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    1. En ayant lu le synopsis, il semble que Renaud n'y joue qu'un rôle secondaire.
      Consacrer un film entier à ce personnage si romanesque (et si judicieux en matière de mariages) me paraîtrait tout à fait justifié. Au risque de bousculer un peu certaines idées "bien-pensantes" (au sens ancien du terme) sur nos preux croisés...

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    2. Très mauvais film au demeurant. La plaie du cinéma actuel, comme de pas mal d'historiens actuels d'ailleurs, c'est que les réalisateurs ne peuvent s'empêcher de truffer leurs films d'un prêchi-prêcha moralisateur et humaniste, de considérations modernes sur le bien et le mal, etc.

      Sinon, je suis bien d'accord avec Nouratin, nous manquons cruellement de personnages de cette trempe.

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    3. Certes, Koltchak mais ils se retrouveraient plus surement devant le tribunal de La Haye que conseillers d'un roi...

      Je pense qu'il en existe encore de comparables mais pas en Occident...

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  4. Ce n'est donc pas du roi Renaud, celui qui revint de guerre "portant ses tripes dans ses mains" dont vous nous contez l'histoire ?

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    1. Non, simplement celle d'un prince consort qui préférait étriper autrui...

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  5. Un homme bien ce Renaud, c'est bien triste qu'il n'en existe plus,soupirs de regrets.

    Il me semble que ses escapades coûtèrent très hères aux musulmans de l'époque, Saladin lui en voulait car il aurait occis une des soeurs de ce dernier en attaquant une caravane.

    Pour le film cité plus haut, je partage l'avis de Kotchak, mauvais très mauvais voire exécrablement mauvais.

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    1. Difficile de rendre ce que pouvait être la mentalité d'un temps si lointain...

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