mardi 6 août 2013

Le don de la tôle



J’ai développé une haine certaine contre la tôle ondulée, ce matériau qui présente les seuls avantages d’être d’un coût modique et d’une mise en œuvre aisée. Pour ces raisons, les paysans du coin s’en servent  pour construire nombre d’annexes qui ne tardent pas à rouiller et ainsi défigurent le paysage. Certains en couvrent même leur maison, donnant ainsi à des demeures en granite un petit plus qui rappelle la favela.

J’ai donc, il y a peu remplacé la tôle de mon appentis par du lambris d’extérieur, propre et net s’il n’est traditionnel. Seulement, je me retrouvais avec  un certain nombre de plaques de tôle plus ou moins rouillées dont le transport à la déchetterie risquait de prendre beaucoup de temps et d’énergie. C’est alors que j’eus l’idée d’en faire don. Je n’étais pas certain que cela intéresserait quiconque mais on pouvait essayer.

Il est à quelques pas de chez moi une ferme. Ses exploitants sont rudes gens, lui bien avancé dans la soixantaine, elle le suivant à semble-t-il quelque distance. L’homme est taciturne. La femme,  je l’ai surnommée la Cow-girl. Car c’est elle qui, en général, mène et ramène leurs vaches aux prés où à la ferme. Cela ne va pas sans moult jurons et coups de bâtons. Le répertoire de la Cow-girl est imagé et riche pour ce qui est des termes peu flatteurs dont elle gratifie ses bovidés. Pour la conversation, c’est plus limité.

Or donc, profitant d’un passage sur la route de ce gentil couple accompagné de leurs grands enfants, je m’adressai à la Cow-girl et lui demandai si des tôles l’intéresseraient. Se tournant vers son digne époux elle lui demanda  « Ça t’intéresse-t’y des tôles ? »  La réaction fut immédiate, positive, enthousiaste. Autant demander à un malade s’il voulait la santé.  Je lui proposai de voir lesdits objets (comme s’il n’avait, ces dernières décennies, eu aucune occasion de les admirer et, ces derniers jours, de voir qu’on les avait remplacées).  Il m’accompagna donc  après s’être assuré qu’il s’agissait d’un don et non d’une vente. L’ayant rassuré je lui spécifiai qu’il fallait tout prendre, le bon comme le mauvais. Pas de problème : il emporterait l’ensemble.   Quand cela serait-il possible ? Mais quand vous voulez. Maintenant ? Maintenant si vous voulez. Bon, j’vas chercher l’tracteur !  Il semblait habité de cette impatience qu’aurait tout brave homme à qui un canon viendrait de proposer de ses faveurs (gratuitement, s’entend) : profitons-en avant qu’on ne se ravise.

Quelques minutes plus tard, le tracteur franchissait mon portail, je lui donnai un coup de main pour charger les plaques dans sa benne et m’ayant remercié, il repartit.

J’avais fait un heureux en me dispensant d’une corvée. Oh, bien sûr, j’aurais aimé qu’avant de partir il serrât ma main entres ses mains calleuses, mît un genou à terre, l’arrosât de pleurs en m’appelant, d’une voix brisée par les sanglots, « Mon bienfaiteur !  Mon bienfaiteur ! ». Mais ne rêvons pas : le paysan Bas-Normand n’est pas expansif.

26 commentaires:

  1. Jacques, vous êtes tellement généreux qu'il est incompréhensible que vous ne soyez pas socialiste !

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  2. C'est beau, c'est noble.
    Mais c'est injuste pour la tôle ondulée, qui règne en maître sur les vieilles granges de mon pays de montagne. Elle fut le seul moyen de remplacer les couvertures de chaume de jadis, matériau léger qui ne nécessitait que de faibles charpentes. La tôle a sauvé nos murs de pierres ! Et puis je dois reconnaître que la rouille est bien jolie, quand le soleil vient la caresser. Mille nuances de rouge surgissent alors de ce matériau vivant qui désormais, il me semble, mérite sa réhabilitation morale.

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  3. Un petit cadeaux et deux sont heureux, elle est pas belle la vie!

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    1. Deux rudes campagnards, j'avions oublié.

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    2. Il arrive qu'on fasse d'une pierre deux coups. Ce qui ne compense pas nécessairement les tirs ratés.

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  4. Je vous trouve tout de même un rien méprisant. Ils vous ont rendu plus service que l'inverse finalement.

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    1. Apparemment, oui. Mais n'oublions pas que ces tôles seront utilisées et continueront d'agresser ma vue.

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    2. Robert Marchenoir7 août 2013 à 14:36

      Quelle profonde ignorance de l'économie, quel mépris des faits ! MS est socialiste, je suppose.

      Jacques Etienne a proposé ses tôles, le paysan les a acceptées. Donc, la réalité montre que chacun a rendu service à l'autre exactement dans la même proportion. Sinon, la transaction n'aurait pas eu lieu.

      Ca s'appelle le marché.

      Evidemment, les socialistes ne supportent pas l'existence d'un marché libre, parce qu'ils ne supportent pas la liberté. Ils ne supportent pas que les gens puissent décider, librement, d'échanger telle marchandise qui leur plaît à tel prix qui leur convient, voire, comme ici, gratuitement.

      Dans leur esprit tordu et tyrannique, il faut absolument qu'une armée de fonctionnaires, de mouches du coche et de bien-pensants, moralement supérieurs à nous autres, mette son nez dans la transaction, et décrète qui a davantage rendu service à qui, avant de proclamer qu'un tel est méprisant -- parce qu'il a commis l'erreur de donner quelque chose, de faire un geste gratuit, sans demander son avis à l'Etat ou à un quelconque potentat local.

      Chose dont le socialiste a horreur, puisqu'il s'agit d'authentique solidarité, tandis que le socialiste pervertit la notion de solidarité en faisant croire qu'elle n'est possible qu'à travers l'Etat.

      Pour le socialiste, il faut toujours que l'Etat mette son nez dans les affaires de tout le monde, décide à la place des autres qui a rendu service à qui, puis s'emploie à jouer les redresseurs de torts en faisant de la "justice sociale" et de la "redistribution" -- avec l'argent des autres, bien entendu.

      Le chancre socialiste a tellement rongé les esprits, qu'il ne suffit plus aux gens d'exiger que l'Etat mette ses sales pattes partout. Ils trouvent désormais normal de s'ingérer eux-mêmes dans les affaires des autres, de proclamer qui est "méprisant" et qui est "victime". Tout un chacun se prend pour l'Etat tout entier, n'importe quel anonyme de passage s'attribue la fonction de redresseur de torts comme s'il était le Chef des Fonctionnaires Socialistes.

      Que de prétentions morales pour excuser sa propre inutilité...

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    3. Que de bla bla bla pour me dire que je suis socialiste.
      eh bien pas du tout. Vous jugez les gens un peu rapidement sur ce blog.
      Vous vous êtes mépris sur ma réflexion : J'ai trouvé Jacques Etienne un peu méprisant d'après la manière dont il juge ces pauvres gens. Il les méprise tout simplement. Bien sûr lui est bien supérieur.
      J'attendais plus d'intelligence du cœur de sa part d'après ce que j'avais lu jusqu'à maintenant. Je me suis trompé.

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    4. Cher MS, Qui vous dit que ce sont des "pauvres gens" ? ne serait-ce pas vous qui devenez méprisant ce coup-ci en les affublant de cet adjectif ? Et pourquoi le fait de donner des tôles serait un signe de mépris ? Là j'avoue que j'ai du mal à vous suivre...

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    5. Bar et Marchenoir, arrêtez vos boniments. Le mépris est flagrant contre les personnes moins instruites ou moins fortunées, ne cherchez pas de politique la-dedans. Monsieur Etienne, vous êtes décidément socialiste, et des pires.

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    6. Voilà, les censeurs ont parlé et ont décidé sans aucun début de commencement de preuve que M. Jacques Etienne était socialiste, qu'il est de surcroit méprisant et riche, ce qui est un crime en Socialie.

      Et après ça va venir vous donner des leçons de démocratie.
      Fort heureusement j'habite actuellement dans un pays dit "totalitaire" où à part une poignée de révolutionnaires comme il y en a partout, la population est très heureuse de ne pas vivre dans une démocratie comme la France, enfoncée dans la haine et la violence.
      Ils nous envie le climat et les paysages, le patrimoine architectural et les produits issus de l'industrie du luxe, mais absolument pas le mode de vie !

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    7. Eh bien je vois qu'en mon absence les esprits s'échauffent !

      Pour rassurer MS je dirai d'abord que je n'ai aucun mépris pour ces braves gens et qu'en matière d'intelligence du cœur, sans prétendre être en mesure de gagner des concours, je pense ne pas avoir à me plaindre. Pour ce qui est de leur pauvreté, je crois que si un jour l'échange de patrimoine devenait à la mode, je n'hésiterais pas à troquer le mien contre le leur. Il s'agissait surtout de tenter de donner un tour humoristique à un échange de bon voisinage...

      Maintenant, traiter une personne de "socialiste", quelle qu'elle soit et quoi qu'elle ait dit ou fait me parait une grave injure si l'on n'a pas de preuve tangible de son appartenance au dit parti ou de son soutien au présent gouvernement. Sans condamner ceux qui la profèrent, je les appelle à plus de retenue.

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    8. Je tiens à présenter mes excuses à Jacques Etienne, je crois que je me suis laissé emporter par l'agressivité de M Marchenoir.
      Et préciser que le mot "pauvres" n'étaient pas employé dans le sens où il a été compris, mais plutôt, d'après la description que vous en faisiez, de "pauvres" intellectuellement. Ce qui d'ailleurs n'est peut-être pas le cas non plus.
      Le ton humoristique du billet m'a induit en erreur. Je ferai attention dorénavant à ne pas me laisser emporter par ma première impression.
      Je lis vos billets régulièrement et je les ai toujours trouvés très agréables.

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  5. En voilà des pur-jus, des comme avant la guerre!
    Comme quoi, le bon plouc franchouille existe encore à l'état natif, dans son milieu naturel.
    Vous avez bien de la chance, on n'en voit plus des comme-ça. On doit avoir l'impression de rajeunir en leur compagnie.
    Amitiés.

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    1. Détrompez-vous, cher Nouratin : l'espèce pullule en nos collines ! Et ce n'est pas le moindre attrait de ces dernières.

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  6. Et voilà, qu'une fois de plus, s'impose à moi l'idée que vous devriez écrire un livre !
    Le titre vous l'avez déjà : "Vu des collines " !
    Quelle merveille ce serait de lire noir sur blanc ce qu'étaient les derniers "ploucs franchouilles à l'état natif encore dans leur jus", avant d'être inexorablement balayés par le vent de l'Histoire qui souffle très fort par les temps qui courent.

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    1. Cette entreprise nécessiterait des dons et une patience que je n'ai hélas pas. Je crains de ne jamais devenir le Giono du bocage...

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  7. Excellent billet fort joliment tourné, et dont le sujet est aussi parfaitement vu qu'exprimé -- écrivez encore sur nos derniers paysans, Monsieur Etienne !

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    1. Merci, Monsieur Desgranges ! Mon visage s'empourpre au reçu de tels compliments.

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  8. Si vous pouviez enquêter pour savoir ce qu'il fera de vos providentielles tôles... car c'est bizarre j'ai envie de savoir. Vos talents de conteur n'y sont certainement pas pour rien.

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    1. Tout ce que je puis dire c'est que j'ai vu Sosthène (qui s'appelle en fait Guy)conduire son tracteur vers quelque lointaine remise afin d'y dérober mes tôles au regard des envieux. Vivrai-je encore ici, serai-je encore de ce monde quand il leur trouvera un usage ?

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  9. Juste ce qu'il faut là où il faut8 août 2013 à 10:51

    50 équerres pour assembler ce bouzin + du bois pour faire au moins 3 cabanes ! Vous êtes pété de thunes, ça nuit au discernement.

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    1. Cher (e?) Juste ce qu'il faut là où il faut, d'abord je vous soupçonne d'user d'un pseudo, ensuite je ne bénéficie que d'une bien modeste aisance, enfin mon cœur noble me dicte de ne point lésiner lorsqu'une noble cause se présente. Et cela sans le moindre espoir de me voir considéré par les siècles à venir comme le Viollet-Leduc de la cabane...

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