dimanche 30 juin 2013

Vous l’avez augé ?



Cette anecdote, dont l’intérêt est contestable*, m’est revenue suite à un court échange sur le blog de Didier Goux concernant les accents provinciaux. Elle démontre qu’il suffit parfois d’une variation infime pour qu’un énoncé devienne inintelligible.

Je venais, pour les marchés, d’acheter un beau camion tout neuf à Saint-Aignan-sur-Cher, charmante petite ville aux confins du Berry, de l’Orléanais et de la Touraine. C’était il y a plus de trente ans, avant qu’elle ne devienne mondialement célèbre en tant que centre d’accueil  du panda géant en France.  Or donc, j’y avais fait l’emplette d’un fourgon Daily  Iveco qui comblait mes désirs et exaltait ma fierté. Sauf que (aucun bonheur n’est sans nuage !) il avait un petit défaut : les bougies de préchauffage de son moteur diesel avaient une fâcheuse tendance à rendre l’âme très rapidement. Le camion étant sous garantie, les gens du garage les changeaient sans rechigner, seulement il me fallait tous les trois-quatre matin parcourir 30 kilomètres aller-retour pour ce faire et  à l’époque j’étais très occupé. Il fallait trouver une solution.

Lors d’une visite au garage pour un Nième remplacement de bougies, j’exigeai de voir le chef d’atelier et lui exprimai mes griefs. Il comprit d’autant mieux mon problème que cette anomalie finissait par faire exploser le budget bougies du garage. C’est alors que, envisageant les diverses causes possibles du phénomène, il me posa cette question qui me plongea dans une perplexité sans fond : « Vous l’avez augé ? » Croyant avoir mal entendu, je le priai de répéter. J’entendis  de nouveau « Vous l’avez augé ? ». Mon visage dut prendre  cette expression de stupidité  perplexe qui caractérise l’idiot confronté à un problème qui le dépasse  tandis qu’une foule de questions se bousculait dans mon esprit : Qu’est-ce que ça veut dire « auger » ? Eût-il été sage, utile, voire essentiel que je l’augeasse ?  Peut-on auger soi-même ou l’augeage est-il œuvre de spécialiste ?

Mon interlocuteur perturbé à son tour par  mon  mutisme effaré face à une question si simple renouvela sa requête sans plus de succès. Il prit alors ce ton que l’on adopte face à un arriéré profond. Et, tout en mimant l’action, il la reformula : «  Quand vous lavez votre camion (le pauvre ignorait ma répugnance quasi-maladive à ce genre d’activité), vous le passez au jé ? ». Euréka, m’écriai-je in petto ! En fait, sa question était « Vous lavez au jet ? » ! Je répondis bien entendu que non, recouvrant  illico l’expression d’une personne plus ou moins normale et dirigeant ipso facto l’enquête vers de nouvelles conjectures.

Contrairement  au « parisien » (en fait, banlieusard) que je suis, dans bien des provinces,  les locuteurs négligent l’opposition « e ouvert »/ « e fermé », n’utilisant que ce dernier. Ça ne pose généralement aucun problème vu que le contexte permet de lever toute ambigüité : quand on vous dit que les vaches donnent du lé, il ne vous vient que rarement à l’idée qu’elles produisent des largeurs de papier peint ou d’étoffe. Quand le contexte n’est pas éclairant, cette opposition phonémique peut  révéler toute sa pertinence…

Voilà, c’était notre petite parenthèse linguistique du dimanche, jour que je vous souhaite agréable et riche en aventures et exploits divers.

*J’anticipe ainsi l’éventuelle critique de M. Léon, mon troll en résidence, qui se fait rare ces derniers temps.

10 commentaires:

  1. S'il n' y avait que les accents provinciaux, il y a aussi les expressions, je me souviens lors de mon service militaire d'avoir demandé de me passer la wassingue(synonyme de serpillière dans le Nord de la France); il devait avoir la même tête d'idiot du village que vous aviez eu lors de votre dialogue.

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    1. Oui, mais là il s'agit de vocabulaire et non d'accent.

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  2. Ce billet est tout simplement hilarant !
    Vous racontez bien et la scène est d'un grand comique.

    Vous l'avez augé !! wouarf !!

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  3. Ce billet drolatique méritait mieux que deux commentaires....

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    1. Je vous remercie de vos deux commentaires. Il est bien plus difficile de tenter de rendre une scène somme toute banale que de débagouler sur des thèmes "politiques". Le rendement est , hélas, bien moindre. Ainsi va la vie.

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  4. Je viens de lire et j'ai ri !
    Merci !

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    1. De rien, c'était le but ! Vous me flattez en me montrant que je l'ai atteint.

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  5. Ne vous risquez pas à Marseille, il vous faudrait un interprète!
    Amitiés.

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    1. Pas besoin d'aller à Marseille, la campagne du Pas de Calais est une zone à risque pour les non initiés.

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