vendredi 18 janvier 2013

Du couteau de Jean et autres considérations sur la rénovation, la restauration et la reconstruction



Je ne sais pas si vous connaissez cette métaphore : Jean possède un couteau. Il arrive, vu qu’il s’en sert beaucoup qu’il ait à en changer la lame usée. Au fil de sa vie il a dû parfois en changer le manche. Son couteau n’en reste pas moins le couteau de Jean. On pourrait même imaginer qu’un jour il l’ait perdu et qu’il se soit vu contraint d’en acheter un nouveau semblable ou différent…

Décidément, Tonton Jacquot devient de plus en plus chiant avec ses histoires à la mords-moi-le-nœud se diront certains. Où veut-il en venir ? Quel est l’intérêt de ce fameux couteau ?

Eh bien, chers amis, car même les plus critiques d’entre vous demeurent des amis, figurez-vous que ce couteau est une métaphore de la restauration, de la rénovation voire de la reconstruction.

Le remplacement de mes portes de grange a été l’occasion pour certains de se montrer critiques. On leur reprochait d’être trop neuves, on regrettait leurs devancières car à vieux bâtiment vieilles portes.  Si on suit cette logique, à portes totalement pourries grange écroulée !  Seulement, si ce bâtiment de plus de 150 ans est encore debout c’est qu’il a été constamment rénové. Les merveilleuses portes si typiques n’avaient rien à voir avec celles d’origine. Elles dataient probablement d’une quarantaine d’années quand les propriétaires ont entièrement remanié les bâtiments de la propriété pour y accueillir un nouveau fermier. Mes portes trop neuves le seront-elles encore dans les années 2050 ?

Ma modeste propriété n’a rien à voir avec un joyau ecclésial roman ou gothique. Pourtant ils ont en commun avec le couteau de Jean  la nécessité pour subsister d’être constamment entretenus et,  parfois, suite à des négligences ou à l’inexorable usure qu’occasionne le temps, d’être rénovés, restaurés, voire reconstruits suite à quelque catastrophe.

Les siècles qui nous ont précédés n’avaient pas notre culte de l’ancien ni de la cohérence de style. Regardez Notre-Dame de Chartes : trois siècles séparent les clochers de la façade ouest. Entre temps, le gothique primitif s’était fait flamboyant. Cependant ces disparités ne choquent  personne.

De manière générale, si quelque catastrophe venait détruire un édifice, si prestigieux soit-il, on n’hésitait pas à le remplacer par un nouveau dans le style du temps. S’il n’était que partiellement endommagé, on remplaçait la partie disparue par une plus moderne.  C’est ainsi que des monuments aujourd’hui  considérés comme immuables ne sont en fait qu’un patchwork de styles divers. Certains ont par ailleurs été restaurés par Viollet-le-Duc qui n’y allait pas avec le dos de la cuiller quand il s’agissait de faire dans le moyenâgeux.

Aujourd’hui, tout a changé. On vit dans le culte du passé. Si on restaure, c’est à l’identique. Pas question de remplacer une tour de cathédrale qui s’effondrerait par une tour de verre et d’acier : on parlerait  de crime culturel. On va jusqu’à imposer dans un rayon de plusieurs centaines de mètres autour d’un monument classé que tout projet de rénovation ou de construction soit soumis à l’autorisation de l’architecte de Monuments Historiques !  

Et pourtant…

Je me souviens avoir pris part à un débat sur la question lors des Journées  du Patrimoine à Châteaudun. La DRAC, les Monuments Historiques, des élus, tout le gratin était là. Il n’était question que de préservation,  de respect de l’environnement architectural et tout  ça. Je pris la parole et évoquai la Place Plumereau, célèbre joyau du centre historique de Tours. Je fis remarquer qu’autour de cette place se trouvaient certes des maisons à pan de bois, mais aussi, bien plus tardives, des constructions en pierre blanche. Et pour cause, vu que ce n’est qu’en 1869 que la place fut percée et que bien des bâtiments furent détruits à cette occasion. Cet endroit hautement « protégé » n’est donc  qu’une juxtaposition  de bâtiments disparates mais que l’on exige, après restauration, de maintenir dans l’état qui n’était, au mieux, le sien que depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Tout le monde convint de la justesse de mes observations, mais je doute que pour autant leurs convictions conservatrices aient changé.

Tout cela pour dire que plutôt que du respect d’un  passé largement fantasmé, le désir de cohérence  architecturale de nos contemporains révèle leur haine du temps présent. Haine que l’on retrouve dans bien d’autres domaines et qui est significatif d’une civilisation qui ne croit pas plus en son présent qu’en son avenir. Sauf, bien entendu lorsqu’il s’agit de promouvoir des changements sociétaux mortifères. Ce qui revient au même.

33 commentaires:

  1. Mince alors ! Votre histoire de couteau j'ai cru que c'était une métaphore pour nous parler de la Françafrique !

    RépondreSupprimer
  2. Il s'agit, semble-il, de l'une des différences entre la culture orientale et la culture occidentale, notamment, en architecture : ici, on bâtit durablement, quitte à restaurer jusqu'au botox, quand là-bas, on bâtit et rebâtit, afin de conserver et transmettre le savoir-faire (ce qui ne résout pas tout, puisqu'envoyer un tsunami pour remplacer une centrale nucléaire, les faits nous l'ont prouvé, c'est un peu excessif)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Même chez nous cette tendance à conserver est relativement récente. Et elle va en s'aggravant...

      Supprimer

  3. Brillante démonstration.
    Quand le futur fait peur, que le présent révulse, on se rattache au passé.

    RépondreSupprimer
  4. Dans les cathédrales d'Auxerre et de Vaison la Romaine, on peut voi des piliers en appui sur des morceaux de colonnes romaines; effectivement les gens s'en fichaient pas mal des constructions anciennes. cela dit j'adore les églises carolingiennes et je regrette qu'il en reste si peu.
    j'ai une vue superbe sur les buildings de la porte d'Italie, de mon bureau ; ils ne provoquent en moi aucune émotion esthétique; peut-être que nous voulons tout préserver parce que les architectes contemporains n'arrivent pas à nous enthousiasmer ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. peut-être que nous voulons tout préserver parce que les architectes contemporains n'arrivent pas à nous enthousiasmer ?

      Ah ça c'est certain.
      Quoi de plus déprimant que d'emprunter le boulvard circulaire de la Défense, je vous le demande.

      Supprimer
    2. Je vous trouve bien sévères avec la modernité : les architectes réalisent des prouesses autrefois inenvisageables !

      Supprimer
    3. Certes ! Mais trop souvent au prix de l'esthétique.

      Supprimer
    4. Peut-être que la canopée des Halles arrivera à vous faire retrouver le sourire? Je blaguais bien entendu...
      Regardez comme ça va être beau. Un endroit qui respire.

      http://www.lefigaro.fr/immobilier/2012/04/04/05002-20120404ARTFIG00760-la-construction-de-la-canopee-des-halles-va-debuter.php

      Supprimer
    5. J'aime bien les tours. Vues de loin...
      Pour la canopée, difficile de se prononcer;

      Supprimer
    6. Mais mes tours je les vois de loin et elles ne me plaisent pas du tout ! mais je vosu accorde que l'université Léonard de Vinci à la Défense sous le soleil, c'est intéressant. Mais ça ne m'émeut pas, je n'y peux rien.
      Je crois que ce sont plutôt les ingénieurs que les architectes qui réalisent certaines prouesses comme vous dites : certaines structures coques ont des courbures qu'on n'aurait pas pu faire autrefois, d'accord. Mais cela me laisse froide. Peut-être parce que je suis ingénieur moi-même !

      Supprimer
    7. Du travail d'ingénieur plus que d'artiste ? ne serait-ce pas plutôt les artistes qui mettent les ingénieurs au service de la réalisation de leurs conceptions ?

      Supprimer
  5. Une patine à l'ancienne siérait parfaitement à cette porte neuve, et ménagerait la chèvre et le choux.
    A mon humble avis, cette porte en l'état semble trop polie pour être honnête.
    Charles Robert.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La patine viendra avec le temps... ...à condition que je me montre négligeant.

      Supprimer
  6. J'aime beaucoup, dans les films, les scènes tournées dans les villages typiques ou les vieux quartiers. On oublie qu'il y a quelques siècles, les ruines ou bâtiments décatis étaient flambants neufs, avec des crépis ou des huisseries aux couleurs franches, voire vives.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les cathédrales étaient peintes de couleurs vives... En fait on restaure à un degré de décrépitude antérieur...

      Supprimer
  7. A Chefchaouen au Maroc, toutes les portes des maisons sont bleues, et toutes sont repeintes 2 ou 3 fois par an. Le guide nous fit passer devant une maison, curieusement différente des autres. La porte était d'un noir brillant style clinquant, et tout autour avait été disposé du marbre gris foncé, lui aussi très rutilant. Avec des petites chiures dorées pour apporter une touche d'or.
    Le guide nous expliqua, souriant, que c'était la maison du cuisto de l'école de la ville, qui avait réussi à faire fortune par son métier, et qu'il était très fier d'afficher sa réussite. Ca m'avait bien fait marrer, car c'était vraiment la seule maison comme ça, et quel goût de chiottes! Rarement vu pareil décalage entre une maison et toutes les autres.
    Je crois que c'est à chaque fois le 1er souvenir qui me revient quand je repense à ce voyage.

    Voilà, c'était juste une anecdote.
    Friendly Jacques.

    RépondreSupprimer
  8. C'est à dire qu'aujourd'hui on construit moche.
    D'ailleurs, notre art est moche dans tous les domaines même le littéraire, c'est dire. Comme vous dites, nous ne sommes plus bon qu'à promouvoir des changements sociétaux à la con et des diversités suicidaires.
    Finalement, vu sous cet angle, je comprends qu'on préserve pieusement les témoignages du passé.
    Cela dit, je précise que cela ne concerne en rien vos magnifiques portes de grange.
    Amitiés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si je partage votre enthousiasme pour mes portes (parfaitement assorties à la pelouse en ce jour de neige, je suis moins pessimiste que vous sur la capacité de nos architectes à créer de la beauté. Le problème est qu'il ne bâtissent que d'énormes choses et qu'on ne construit plus d'églises, de cathédrales ni e palais...

      Supprimer
    2. "les témoignages du pacsé", à qui le dites-vous, Nouratin...

      Supprimer
  9. Vos exemples sont très justes J-E. Ceux de Tours, celui de la cathédrale de Chartres.
    Et pourtant ils ne sont pas valides pour l'oeil inculte qui n'y voit que continuité naturelle. Et à juste titre.
    La rupture véritable s'invite au 20ème siècle avec l'introduction du béton qui fait du bâti quelque chose d'hors sol.
    Les constructions modernes ne sont plus alors tributaires des matériaux du cru, la pierre ou le bois, le chaume ou le pisé, et ne sont plus des expressions quasi naturelles du pays.
    Le béton et les techniques modernes ont favorisé le mitage des paysages et l'oubli des identités.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sans vous contredire, on peut remarquer cependant que l'utilisation des matériaux locaux a connu des évolutions : j'en veux pour exemple l'utilisation, dans le Perche Gouet du grison, un poudingue, qui fut ensuite, grâce à l'amélioration des moyens de transport, supplanté par le calcaire blanc plus beau d'aspect et susceptible d'être sculpté.

      Supprimer
    2. Oui sans doute.
      Mais à quoi reconnaissons nous que nous sommes en Bretagne ? A l'utilisation de l'ardoise. En Anjou, Tourainne et Pays de Loire ? Au tuffeau. A quoi reconnaissons nous que nous sommes sur le Coiron ? Aux murs noirs faits de pierres de basalte.
      Vous pouvez completer la liste.

      Supprimer
  10. La pyramide du Louvre, les colonnes de Buren, l'opéra Bastille ne sont-ils pas des contre exemples de ce que vous écrivez ?
    Si la pyramide du Louvre est acceptable (?), que dire de l'opéra Bastille que les Américains décrivaient lors de son inauguration comme ayant l'esthétique de grands chiottes publics ?
    Et quant aux colonnes de Buren qui font l'admiration de tous les bobos, je ne pourrai jamais m'y faire !

    RépondreSupprimer
  11. Mais je suis injuste avec les colonnes de Buren, car je me souviens les avoir trouvées intéressantes, une certaine fois où on avait autorisé un grand chausseur à y présenter ses chaussures.
    Les colonnes de Buren présentoirs à godasses, cela devenait acceptable.

    RépondreSupprimer
  12. Votre travail est parfait mais c'est cette couleur blanche pimpante qui me dérange, bois naturel cela aurait été peut être moins fait IKEA.

    Quant à notre patrimoine culturel actuel , il est misérable, des prouesses techniques certes mais que c'est laid et interchangeable.

    C'est vrai qu'à côté de ces constructions sans âme vos portes même en blanc ont de la gueule.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @ Milred : Je trouve que la pyramide du Louvre est non seulement belle mais qu'elle s'intègre très bien à son environnement. Pour l'Opéra Bastille et les colonnes de Buren, tout à fait d'accord.

      @ Grandpas : J'ai déjà expliqué qu'ici le blanc est la règle. Le bois "naturel", lazuré, en plus, ne me plaît pas.

      Supprimer
    2. @ Milred : Je trouve que la pyramide du Louvre est non seulement belle mais qu'elle s'intègre très bien à son environnement. Pour l'Opéra Bastille et les colonnes de Buren, tout à fait d'accord.

      @ Grandpas : J'ai déjà expliqué qu'ici le blanc est la règle. Le bois "naturel", lazuré, en plus, ne me plaît pas.

      Supprimer
    3. Je n'ai rien contre le blanc mais cette couleur que ce soit dans l'ameublement ou la peinture me fait toujours pensée aux hôpitaux ou aux feuilletons de Derrick mais dans le vin vive le blanc sec ou moelleux.

      Supprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.