A bonne école
Peu d’enseignants m’ont marqué. Quelques uns
en bien et une autre en moins bien.
Le positif me fut apporté par un prof de
français que j’eus en seconde. Piètre pédagogue, bon gauchiste, enseigner sa
matière en classe scientifique l’ennuyait profondément. Il passa l’année sans
se donner la peine d’apprendre nos noms. Ce qui me plut chez lui fut que trois
semaines avant chaque fin de trimestre, arrêtant ce qui lui tenait lieu de
cours, il nous lisait avec talent des pièces de Brecht. Un rien excentrique, il se
déplaçait dans une Traction avant, véhicule déjà démodé, peinte en vert amande
pour la carrosserie et en rouge pour les roues. Pas la voiture de M. Tout le
Monde. Il eut le mérite de déceler mon goût pour l’écriture et me poussa à
passer en section littéraire. Il m’exhorta même à travailler davantage. Conseil
qu’il eût pu s’appliquer…
D’autres enseignants, à la Faculté de Lettres, m’impressionnèrent un temps par leur
érudition ou leur capacité à improviser de brillants discours.
Le moins bon, je l’ai connu à l’école primaire
en la personne de Mme R. Je suppose prendre une précaution inutile en ne
donnant que l’initiale de son nom. La pauvre dame doit avoir quitté depuis longtemps
cette vallée de larmes vu qu’elle n’était déjà plus si jeune quand je la
connus. J’eus l’honneur et le privilège de bénéficier de ses enseignements deux
ans durant. Et ces années de cours
élémentaire furent pour moi synonymes d’enfer.
Sans que je sache pourquoi, s’installa d’emblée
entre nous un climat de défiance qui tourna bien vite en une sorte de haine, au
moins de ma part. Je crois qu’ayant décelé chez moi quelques capacités, elle m’en
voulait de ne pas les exploiter et de préférer rêvasser plutôt que l’écouter.
Je me trouvais systématiquement troisième de la classe alors que pour
satisfaire école et famille il eût fallu que je fusse premier. Je suppose que les parents d’une bonne
vingtaine de mes condisciples eussent été ravis de les voir à ma place, mais c’était
ainsi : je n’occupais pas le premier rang et on m’en voulait pour ça.
Croyant ainsi provoquer en moi une salutaire réaction, la mère R. me faisait
honte. Au lieu de l’effet souhaité cela ne faisait que me braquer contre elle.
« Si tu continues comme ça, tu finiras
par chercher ta pitance avec un crochet dans les poubelles ! » Un
jour que, fier comme tout, au lieu de finir d’user les affaires de mon frère
ainé, j’arrivai à l’école portant un short neuf, elle me déclara que si elle
avait un enfant comme moi, il ne porterait que de vieux vêtements… C’est ainsi qu’elle tentait de me réformer.
Je faisais des cauchemars. Mme R. avait l’habitude
de ne distribuer sur les tables qu’une partie des cahiers corrigés la veille.
Parfois c’était ceux sur lesquels il n’y avait rien à dire, parfois ceux qui
allaient encourir ses foudres. Ayant rêvé avoir fait d’énormes taches sur le
mien, je me ruais le matin pour voir si mon cahier était ou non sur mon
pupitre. Tout en sachant que présence comme absence dudit cahier pouvaient être
lourdes de menaces…
De plus, Mme R. avait une caractéristique
originale au sein du corps enseignant de l’époque : elle était catholique pratiquante.
Je la vois encore, vêtue de son quasi-sempiternel manteau de fourrure (bien que
je suppose qu’elle ne le portait pas en
été), accompagnée de son mari, s’entretenir avec mes parents à la sortie de la
messe. Ma mère était ravie que j’aie la chance d’avoir une telle institutrice !
J’étais fait comme un rat !
Mon calvaire prit fin. Une nouvelle école se
construisit dans notre quartier et je quittai le lieu de ma géhenne. Non sans
que Mme R. apprenant ma nouvelle affectation ne m’ait demandé ce que je ferais
si, à la rentrée prochaine, j’apercevais m’accueillant dans ma nouvelle classe
une petite dame en manteau de fourrure. Je crois que j’ai éclaté en sanglots.
J’ai longtemps pensé avec haine, rancune,
rage à cette brave dame. Et puis avec le temps, j’en suis venu à me dire qu’elle
avait fait de son mieux (le mieux de certains étant moins souhaitable que le
pire d’autres !). Et puis elle m’a été utile : à certains moments
difficiles de ma vie, si je me suis raccroché avec l’énergie du désespoir à la rampe
c’était en partie pour ne pas donner raison aux prévisions de cette vieille saloperie !
Mon année de CP a été terrible. Je suis arrivé à l'école sachant parfaitement lire et écrire, ce qui me valut d'être le souffre-douleur de l'institutrice, petite femme à la chevelure de jais . Une année durant j'ai subi ses saillies assassines, les heures de piquet, mains sur la tête, les coups de règle sur les doigts, quelques claques à l'occasion, quand elle ne me tirait pas les cheveux. J'en ai bavé, je la maudissais, je la haïssais, mais elle ne m'a jamais tiré une seule larme, pas plus qu'elle n'a réussi à me faire baisser les yeux, ce qui me valait d'avoir droit à du rab de vexations. Je ne m'en suis jamais ouvert à mes parents, c'était une affaire entre elle et moi. Le dernier jour de l'année, je me suis permis de lui envoyer un bon coup de pied dans le tibia.
RépondreSupprimerDonner un coup de pied à une institutrice quelle qu'elle soit ? Du temps de la vieille école c'eût été un inconcevable crime ou l'action d'un dément !
Supprimer"cette vieille saloperie", "un bon coup de pied dans le tibia", mes parents ont vraiment du louper leur n°4 quand les pailles dans les yeux de mes voisins !
SupprimerNe manquerait-il pas quelque chose à votre phrase, cher Al ?
SupprimerOups, "je vois" entre "quand" et "les pailles". C'est tordu, mais le fond y est. Merci de votre attention, Jacques.
SupprimerA l'école où nous avons appris l'A B C
RépondreSupprimerLa maîtresse avait des méthodes avancées.
Comme il fut doux le temps, bien éphémère, hélas.
Où cette bonne fée régna sur notre classe,
Régna sur notre classe.
Avant elle, nous étions tous des paresseux,
Des lève-nez, des cancres, des crétins crasseux.
En travaillant exclusivement que pour nous,
Les marchands de bonnets d'âne étaient sur les genoux,
Étaient sur les genoux.
La maîtresse avait des méthodes avancées:
Au premier de la classe elle promit un baiser,
Un baiser pour de bon, un baiser libertin,
Un baiser sur la bouche, enfin bref, un patin,
Enfin bref, un patin.
Aux pupitres alors, quelque chose changea,
L'école buissonnière eut plus jamais un chat.
Et les pauvres marchands de bonnets d'âne, crac!
Connurent tout à coup la faillite, le krach,
La faillite, le krach.
Lorsque le proviseur, à la fin de l'année,
Nous lut les résultats, il fut bien étonné.
La maîtresse, elle, rougit comme un coquelicot,
Car nous étions tous prix d'excellence ex-aequo,
D'excellence ex-aequo.
A la récréation, la bonne fée se mit
En devoir de tenir ce qu'elle avait promis.
Et comme elle embrassa quarante lauréats,
Jusqu'à une heure indue la séance dura,
La séance dura.
Ce système bien sûr ne fut jamais admis
Par l'imbécile alors recteur d'académie.
De l'école, en dépit de son beau palmarès,
On chassa pour toujours notre chère maîtresse,
Notre chère maîtresse.
La cancre fit alors sa réapparition,
Le fort en thème est redevenu l'exception.
A la fin de l'année suivante, quel fiasco!
Nous étions tous derniers de la classe ex-aequo,
De la classe ex-aequo!
A l'école où nous avons appris l'A B C
La maîtresse avait des méthodes avancées.
Comme il Fut doux le temps bien éphémère, hélas!
Où cette bonne fée régna sur notre classe,
Régna sur notre classe.
Un patin de la mère R. ? Je pense que l'expérience eût été bien plus traumatisante que ses remarques !
SupprimerDeux instituteurs et un professeur m'ont éloignés de l’école mais ils ne sont pas les seuls responsables de mes échecs scolaires j' y ai mis beaucoup de moi.
RépondreSupprimerIl est certain que mon manque d'intérêt pour l'école était au moins en partie la source de ces remarques. On n'est pas totalement innocent...
SupprimerJusqu'au moment des études supérieures je dois dire que je ne garde guère de souvenirs de mes professeurs, ni en bien ni en mal. Enfin si, j'en garde des souvenirs mais ce sont des souvenirs plutôt neutres, ni agréables ni désagréables.
RépondreSupprimerCela dit, je n'ai jamais regretté mon enfance - ni l'école.
Ceux qui font e l'enfance un paradis perdu m'ont toujours étonné : la mienne fut tout sauf cela. J'ai été content de la quitter !
SupprimerA notre époque, les enseignants ne s'embarrassaient pas de psycho-pédagogie, comme on dit (enfin je crois)ce qui leur offrait l'opportunité d'avoir des souffre-douleur. De la sorte, ils pouvaient passer leur rage sur un nombre restreint de parias et c'était tout bénef pour les autres.
RépondreSupprimerOn ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs.
Du coup aujourd'hui, l'éducation nationale fait des
omelettes sans oeufs...
Amitiés.
C'est curieux, mais je ne me suis jamais senti le souffre-douleur ce cette personne. Elle me pourrissait la vie pour mon bien, je pense. Les autres enseignants que j'ai connus ensuite ne m'ont jamais témoigné autant d'intérêt. Et je les en remercie !
SupprimerSur les souffre-douleurs, il y aurait beaucoup à dire. J'en ai croisé quelques uns au cours de ma carrière qui ne se sentaient bien que quand, après avoir provoqué leurs camarades, ils se faisaient battre. Curieuse manière d'obtenir l'attention. Peut-être n'en avaient-ils pas d'autres ?
Je me souviens de ma dernière année de maternelle.
RépondreSupprimerLa maîtresse faisait une distribution de quelque chose (j'ai oublié ce que c'était) et ce quelque chose est venu à manquer quand elle est arrivée à ma pomme.
Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, j'ai grommelé dans son dos un truc comme "bin elle a du culot celle-là !". C'était mal, mais j'étais petite.
C'était mal et dit trop fort, c'est tombé dans l'oreille d'une "copine" qui s'est empressée de le répéter à la "culottée", qui s'est imprudemment dépêchée de me priver de mon rôle de marguerite dans la fête de fin d'année, où nous devions danser, pensant me punir.
Soulagée, j'étais !
Et pas finaude, ça s'est vu, que j'étais soulagée.
Du coup, elle a retiré la punition. J'étais faite comme une rate ^^
Je n'ai jamais oublié cet épisode tragique et je n'ai jamais osé l'avouer à mes parents, qui l'auraient sans doute mal pris.
Vous avez la primeur !
Ouf, mon sommeil sera plus léger.