jeudi 19 janvier 2012
Où les vieux cons divergent...
Annie Ernaux avait su, dans la partie de son « autobiographie impersonnelle et collective » consacrée à l’enfance, faire remonter en moi bien des nostalgies. Mais ensuite tout s’est mis à cafouiller entre nous. Je crains que, dès le départ, notre « union » n’ait été construite sur un malentendu. Certes les origines modestes, l’extraction populaire, l’époque (enfin, presque) étaient là pour nous rassembler. Mais, mais, mais…
Madame Ernaux respectait (et respecte probablement encore) école, diplômes, mérite, ascenseur social et tout le bastringue. Elle s’engouffra dans le modèle petit-bourgeois, passa son CAPES, devint une enseignante « consciente et responsable » selon les critères requis, une mère dévouée. Un modèle d’intégration sociale. En opposition avec le système comme il sied au teint. Une prof de banlieue, calibrée au micron près. Du bois dont on fait les gôchos. Avec l’illusion que ce conformisme politique est rébellion. Alors qu’il n’est qu’imaginaire fenêtre azurée dans la grisaille du quotidien.
Enfoncée jusqu’aux narines dans l’ordinaire, mai 68, cette dérisoire pantalonnade, lui paraît oxygène. Fallait-il qu’elle étouffe ! Son récit, ensuite, devient un catalogue plus ou moins exhaustif des « luttes », espoirs, déceptions et tristes constats d’une gôche qui se cherche sans risquer de jamais se trouver tant ses rêves sont inconsistants. Au niveau personnel on trouve l’habituel divorce, l’éducation permissive des enfants, les liaisons avec ou sans lendemains qu’implique un bovarysme de bon aloi… Si certaines notations continuent, ici ou là, de réveiller en moi d’obscurs souvenirs, l’essentiel de ses préoccupations m’échappent comme m’échapperaient les émois d’un copocléphile.
La mémoire qu’elle tente de réveiller n’est pas celle de la collectivité française mais celle d’un clan. Je ne m’y retrouve pas du tout. Sa tentative de recréer une époque échoue : elle n’en retranscrit que ce qu’ont voulu y voir ceux de son milieu et de son bord à travers le prisme de leur idéologie.
Restent un style épuré, habile, efficace, une lecture agréable. Ce n’est pas rien.
Quelle chance j'ai de ne pas l'avoir lue !
RépondreSupprimerMalgré toutes mes réserves, je vous l'assure, Plouc, c'est une lecture agréable et éventuellement instructive pour qui ne connaît pas ce milieu.
Supprimer"une lecture agréable et éventuellement instructive pour qui ne connaît pas ce milieu."
SupprimerMilieu populaire des années 50-60.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerAussi, Suzanne, mais en l’occurrence je parlais plutôt du milieu enseignant de gauche..
SupprimerAnnie Ernaux est une des premières à avoir innoculé aux Lettres françoises le virus de l'auto-fiction ; tous ses livres ne parlent que d'elle, de son enfance, de ses nichons, de ses coups de queue, de ses visites dans les supermarchés, de ses avis éclairés sur la politique (« oui, Mitterrand était vraiment de gauche »), et caetera jusqu'ad nauseum.
RépondreSupprimerCela conduit nécessairement à l'obscénité, au bout du compte : ainsi dans Passion Simple où, éprise d'un Russe alcoolique qui le soir lorsqu'il l'embrasse lui rôte à la gueule, alors qu'il semble décidé à la quitter, elle souhaite, ni plus ni moins, qu'il ait le sida et qu'il le lui transmette : « Au moins, il m'aura laissé quelque chose ».
Annie Ernaux est avec toutes ses petites camarades au nombril obèse la peste de notre littérature.
N'ayant lu que ce livre où règne une certaine distanciation, je ne peux rien dire sur d'éventuels dérapages vers de sordides histoires personnelles. Ce que vous en dites n'est certes pas encourageant..
SupprimerAd nauseam, mon cher Pascal, ad NAUSEAM !
SupprimerArgh je fais tout le temps cette faute, merci Didier !
SupprimerEt puis "jusqu'à" est redondant avec "ad nauseam", puisque c'est le sens de "ad".
SupprimerAbsolument, absolument, je m'exprime comme une merde d'autofictionnel aujourd'hui.
SupprimerMais non !
SupprimerElle est très bien cette formule "et caetera jusqu'ad nauseum" !
Elle sonne bien et porte bien son sens. (pour qui sont ces serpents...)
Votre charité vous perdra chère Carine.
SupprimerSi c'est pour reprocher à un diariste de ne parler que de lui, autant ne lire aucun journal d'écrivain. J'ai lu la partie du journal que Labeuche écrase de ses commentaires gracieux et nuancés, il est bien placé pour parler d'obscénité, lui, le pauvre. Si obscénité il y a, celle d'Ernaux est dans le champ de la littérature.
RépondreSupprimerJacques, je ne voulais pas vous fustiger avec le mot "mijaurée". Je m'en suis expliquée avec Dxdiag sur le blog de Didier, et j'espère que ce billet n'est pas une réaction à cette terrible accusation que j'aurais du éviter, ou expliciter (euh, smiley).
Je n'ai pas envie de plaider pour Ernaux que j'aime un peu comme je l'ai déjà dit. Reste que nous avons apprécié ce livre, "Les Années"
Plouc, je pense que vous l'aimeriez aussi. Essayez, et dites-nous...
Où s'arrête le journal, où commence l'auto fiction ?
SupprimerRassurez-vous, Suzanne ! Le terme mijaurée ne m'a ni choqué ni blessé. Juste amusé car c'est la première fois qu'on m'en "fustige" (Je te dis pas la tête de la mijaurée!) !
La moto-fiction décoiffe davantage que l'auto-fiction. La preuve, c'est que j'y ai perdu tous mes cheveux, moi.
RépondreSupprimerEn ces matières, parfois fécales, comme y fait allusion l'ami Labeuche, il y a boire et à manger -- donc à roter. Ce qui distingue un écrivain de la foule des écrivants, c'est le style (alliance entre un tempérament et une manière de l'exprimer), sa manière bien à lui de décrire son objet, quelque soit cet objet : vieux chapeau, briquet, pantoufle, Rolls-Royce, amour, délice, supplice et morgue, etc. Et ça, le style, c'est une double question : de regard, d'intensité de ce regard, et de retranscription de la vision.
Pirotte aussi fait dans l'auto-fiction, dans le fond, et c'est plus ou moins l'existence en demi-teinte d'un poivrot lettré qu'il nous décrit dans ses livres. Un peu d'ennui parfois, de grisaille, mais que de moments de grâce ! Et pourtant, il ne parle jamais que de choses très triviales. Mais il en parle avec une acuité d'orpailleur, non pour se mettre en avant et se vanter d'être soi, d'être un rebelle et autres conneries du genre.
Je ne partage pas forcément vos opinions sur les qualités décoiffantes respectives de l'auto et de la moto fiction. Surtout quand l'auto se trouve être une décapotable et qu'on est assis à l'arrière, sans le casque qu'impose la moto-fiction...
SupprimerD'accord avec vous : le style, c'est l'homme, comme disait Pascal (Blaise, pas Labeuche!).
Bien que ne connaissant pas Pirotte, je suppose que le talent ne dépend pas du genre dans lequel il s'exerce. Ainsi, un certain Henry Miller...
Il me semble que la réflexion sur le style est de Buffon et non de Pascal (qui est riche assez pour qu'on ne lui prête pas plus qu'il ne mérite). Et la citation est d'ailleurs souvent tronquée ou mal interprétée.
SupprimerSinon, voilà, ce n'est pas le sujet ni le genre (plus ou moins noble) qui fait le talent. L'intention prime aussi. Si je parle de mon nombril, c'est pour en dire quoi ? L'exalter parce que c'est le mien à moi tout seul et que je suis magnifique ? Ou autre chose : de mon nombril particulier tirer une vérité ombilicale universelle ?
Ygor, e vous prierai de ne pas traiter Blaise Pascal de "Buffon". C'était, malgré sa coupable manie de parier sur tout et n'importe quoi, un homme convenable et un bon chrétien.
SupprimerBin justement.
SupprimerQuand on apprécie le style, on savoure un "et coetera jusqu'ad nauseum". non mais sans blague !
...et c'est une prof qui vous le dit ! (LOL)
Supprimer...et c'est une prof qui vous le dit ! (LOL)
SupprimerOui, mais moi, je ne bégaie pas.
Supprimer"La partie du journal" ...
RépondreSupprimerComment expliquer à quelqu'un qui ne sait pas faire la différence entre récit autobiographique et journal ce qui peut distinguer la littérature égotiste et autobiographique de la mascarade nombriliste de l'auto-fiction ?
Comment lui expliquer que pouvoir dire "je" est un art, et des plus compliqués, art qui s'appelle littérature, "je" qui transcende le petit moi, ce petit moi masturbatoire de tous les auto-fictionnels de la Terre ?
"La mémoire qu’elle tente de réveiller n’est pas celle de la collectivité française mais celle d’un clan. Je ne m’y retrouve pas du tout. Sa tentative de recréer une époque échoue : elle n’en retranscrit que ce qu’ont voulu y voir ceux de son milieu et de son bord à travers le prisme de leur idéologie."
SupprimerAh, je souscris tout à fait, mais vous parlez de qui ? Des réacs ?
"faire la différence entre récit autobiographique et journal "
RépondreSupprimerLabeuche: elle est parfois très mince,dans le cas d'Ernaux (l'avez-vous seulement lue ?) mais si vous y tenez, mettez "récit autobiographique" à la place de "partie du journal". Vous allez sans doute me dire que ce n'est pas un récit, mais un roman, ou pinailler indéfiniment sur des détails jusqu'à épuisement, je n'ai pas envie de discuter d'un livre avec vous, ni de quoi que ce soit d'ailleurs.
Et, Jacques, je trouve ce billet sévère, contredisant le précédent consacré à cet auteur.
Supprimer(bon sang, je n'arrive pas à utiliser ces commentaires imbriqués)
SupprimerEt pourquoi, ici, ne vous plaignez-vous pas que ce soit écrit trop petit, hmm ? Y a d'la discrimination dans l'air, c'est pas bon, ça !
SupprimerDidier, mais ce n'est pas écrit petit ! (mon Dieu, il perd la vue...)
SupprimerJe vois qu'il y en a qui s'aiment de fine amor comme citerait Mat...
SupprimerIl n'y a pas contradiction à proprement parler : autant la première partie de l'enfance renvoie à des gens, des choses, et des comportements que j'ai connus, autant ce qui semble constituer la substance de la vie adulte de l'auteur me paraît étranger. C'est tout.
Eh bien ne me causez pas, tout simplement ! Vous avez tout de même vu que c'est vous qui vous êtes adressée à moi en premier alors que je ne faisais que réagir au billet de mon ami Jacques sans vous sonner de quelque manière que ce soit, n'est-ce pas ?
RépondreSupprimerPour vous répondre, quand même, car quand on me pose une question (même si on n'a pas envie de discuter avec moi) en général j'y réponds :
Oui, j'ai lu Ernaux (ça se lit très vite et quand on est très jeune on est attiré par la facilité), et ce n'est pas pinailler que constater que Passion simple n'est pas un journal mais un récit autobiographique (pas un roman, non) : ce n'est pas mince, la différence entre écrire ce qui nous arrive au jour le jour et relater une période de notre vie une fois cette période achevée - cette différence n'est pas mince du tout.
Et encore une fois on trouve bien évidemment, dans le récit autobiographique comme dans le journal, des écrivains nombreux et géniaux. Mais ce n'est pas le cas de l'auto-fiction, terme (dont Ernaux ne me semble pas se revendiquer d'ailleurs, mais qui selon moi qualifie très bien son oeuvre) qui semble avoir été très curieusement inventé pour distinguer l'étalage complaisant de son petit moi à des fins purement narcissiques de la littérature (où il ne s'agit jamais, même en la révélation des détails les plus intimes, de son petit moi, Deleuze a très bien parlé de ça notamment dans son abécédaire en prenant notamment l'exemple de Nathalie Sarraute).
Comme le dit Ygor la différence c'est le style, style qui n'est jamais que style mais aussi morale, éthique (qui n'a rien à voir, on s'en doute, avec une quelconque moralisation), caractère et, j'ose le dire, transcendance.
Jacques: pas d'accord, ce n'est pas très sensible dans ce livre, ou alors je n'y ai pas fait attention.
RépondreSupprimer"c’est toute la société du temps qui nous est dépeinte. Rien n'y manque : la religion, encore prépondérante, les écoles séparées, les marques et leurs slogans, les différences sociales et culturelles, les interminables repas de famille où les parents parlaient guerre, les chansons, les émissions de radio, mille détails font renaître l’époque et plongent le lecteur cacochyme que je suis dans un bain de nostalgie."
C'était dans votre premier billet !
Je réponds à ça plus haut, mais les commentaires s'entrecroisent...
SupprimerQuel bordel cette nouvelle configuartion des commentaires !!!
RépondreSupprimerNon, je trouve ça bien, le tout étant de ne pas s'y fourvoyer...
SupprimerJacques : OK
RépondreSupprimerÇa m'intéresse beaucoup cette affaire de différence entre littérature autobiographique et auto-fiction, Jacques ne m'en voudra pas de soliloquer au coin de sa cheminée.
RépondreSupprimerEvidemment ce n'est pas le sujet qui fait la littérature.
Prenons pour illustrer mon propos les cas tout à fait comparables de deux auteurs ayant vécu à la même époque (un seul des deux est encore vivant), homosexuels et ayant fait une oeuvre où leur personne était au centre : Renaud Camus et Guillaume Dustan. Il y a chez les deux des scènes de pipes, de baises dans des saunas, et bien d'autres cjoses relatées d'une nature qui les "rapproche". Or, l'un est sans doute le plus grand écrivain français de ces quarante dernières années, tandis que l'autre n'est qu'un auto-fictionnel - là où chez le premier tout ce qui est étranger à notre expérience nous touche, chez l'autre on entre dans son oeuvre comme on visite un zoo.
N'aurait-on d'ailleurs pas là une définition possible de la littérature _ est Littérature ce qui rend l'étrangèreté nôtre. Fût-ce par un moi tellement personnel qu'il en devient universel - transcendance du style.
La définition possible de la littérature (sans majuscule, de grâce) me semble tout à fait judicieuse, voire exacte. C'est une alchimie, et elle s'opère dans un ailleurs qui est en soi, dans un Soi qui est Autre, donc universel, de fait.
SupprimerTranscendance du style ou par le style, plutôt.
Oui.
SupprimerUniversel, n'exagérons rien. Il me semble tout au plus qu'une subjectivité est plus ou moins susceptible d'en rencontrer d'autres..
RépondreSupprimerSi, universel -- au sens que la tristesse, le deuil, la joie, etc., peuvent être particuliers et même très particuliers tout en étant universels. Si vous racontez d'une certaine manière un événement très particulier, vous toucherez une fibre universelle chez des gens de cultures très différentes, et même par-delà les siècles. Et quand je dis "toucher", ça déborde du cadre platement émotif.
SupprimerTout à fait d'accord avec Ygor (ça rime) : universel ne signifie pas totalisant, mais désigne à mon avis la potentialité (d'une oeuvre littéraire, par exemple, en l'occurence) de toucher chauqe être humain, quelle que soit la culture ou l'époque sous laquelle il vit - ce n'est pas une loi scientifique ni une obligation.
SupprimerMouais... Un universel qui reste au niveau potentiel perd à mes yeux de son universalité et devient bien théorique. Imaginer que souffrance, joie, tristesse soient ressenties de manière non identique mais communicable par l'ensemble des humains malgré l'infinie variété de leurs cultures me semble bien improbable. Même au sein d'une "même" culture, l'évolution des manières de ressentir constitue un obstacle au partage. Alors, universel...
SupprimerÇa n'empêche pas ! Universalité n'est pas du tout contraire d'unicité !
SupprimerJ'ai eu tout-à-fait la même réaction que vous à la lecture de ce livre.
RépondreSupprimerLa première partie, qui raconte la Normandie populaire de l'après-guerre, restituée à travers des photos usées d'être passées de main en main à la fin des repas de famille, est passionnante et émouvante.
Passe encore sur 68 et les années gauchistes, que le style "dis, Mamie, raconte-nous comment c'était" restitue bien aussi.
C'est après, disons à partir de 1981, que ça se gâte et où l'on a droit, effectivement, à tout le catalogue des clichés bobos sur la société et la politique; là, le récit se met à ressembler à une espèce d'article du "Nouvel Obs" en plus long et plus indigeste.
Jetons cette partie-là, et gardons le début.
Tout à fait d'accord, Anonyme !
SupprimerJe n'ai pas lu ce livre : la littérature française, contemporaine et de surcroît féminine, ce n'est pas trop mon truc.
RépondreSupprimerMais qu'est-ce qu'"un style épuré, habile, efficace, mis au service d'un sujet sans intérêt ? Ce n'est pas grand chose.
Comme vous y allez Mildred ! Sans intérêt ? Je n'ai jamais dit ça ! J'ai simplement réduit la portée et l'intérêt d'un livre qui en présente cependant beaucoup dans sa première partie et dont la technique narrative est originale.
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