mardi 17 décembre 2019

Recyclage



Allez savoir pourquoi, hier, je me suis demandé si le défunt site « Aux amis de Romain Gary » au forum duquel je participais et pour lequel j’écrivis quelques textes, voici une quinzaine d’année,  n’aurait pas par hasard ressuscité. Je fis une recherche Google et ne  trouvai qu’une coquille quasiment vide. Toutefois, à la rubrique «Rencontres avec Gary...» se trouvait un texte par moi écrit narrant comment, à une époque peu faste de ma vie, j’avais re-découvert cet auteur. J’y donnais quelques citations extraites de L’angoisse du roi Salomon, livre que j’ai lu, relu et re-relu maintes et maintes fois.  Je reproduis ici ce texte avec l’espoir qu’il saura susciter chez certains l’envie de lire ce roman.

Parfois la vie se fait taquine. Longtemps vous vous étiez cru maître des choses et du destin et vous voilà bouchon jeté au gré des vagues d'une mer en furie contre les brisants. Et les brisants, ça casse. Vous échouez enfin, bouchon écorché de partout, sur une plage solitaire, inhospitalière… Un désert, humide et glacé.

Trêve de métaphores. J'allais sur quarante ans. Très allégé. Dans ma chambre meublée à Londres, je pouvais faire le bilan. Envolés veaux, vaches, cochon couvée, famille, foyer, amour, patrie. De l'autre côté, la vie devant moi… La vie comme on la voit quand on est fracassé et qu'on se doute que tous les whiskies de l'Ecosse ne seront remèdes que le soir et catalyseurs d'angoisse au matin.

C'est alors que j'ai rencontré Gary. Pour de bon. Je le connaissais déjà, bien sûr. J'avais goûté son humour. Comme on fait dans le confort, en esthète. J'allais le découvrir mieux. Car il y avait dans mon livre de chevet d'alors des phrase à vous requinquer le bouchon . A vous défracasser le bonhomme :

« Il s'est tu, pour m'encourager, car,des fois, la pire des choses qui peut arriver aux questions, c'est la réponse »

« Il a même réussi à empêcher une fille de se suicider, en lui prouvant que ce serait encore pire après. »

« Ils parlaient ensemble de la sagesse orientale qui leur est d'un grand secours, là-bas, quand on ne les a pas tués avant »

« Vous avez un sens aigu de l'humain, mon petit et c'est très douloureux. [...] Vous auriez fait autrefois un excellent missionnaire… au temps où on les mangeait encore. »

« Il faut prendre les choses du bon côté, mademoiselle Cora, sauf qu'on ne sait pas toujours lequel c'est. Ça ne se voit pas très bien... »

« Elle a recommencé à sangloter. C'était peut-être parce que le champagne s'est arrêté et l'a laissée seule. »

« Il paraît qu'ils ont des écoles de clowns en URSS où ils vous apprennent à vivre. »

« Il n'y a rien de pire pour un malheur que de manquer d'importance. »

« - Un brave homme, un brave homme ! répéta monsieur Salomon à deux reprises, pour mieux se contredire.
– Oui, c'est un méchant con, reconnus-je. »

« Le stoïcisme, c'est quand on a tellement peur de tout perdre qu'on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur. »

Je vous en passe des dizaines, des centaines, aussi bonnes mais qui ne concernaient pas la situation. Celles-là parlaient à mon mal-être.

Une bonne mécanique : on avance une platitude qu'on plastique d'un paradoxe, grinçant de préférence. Et voilà le malheur qui sourit ou le bon sens qui perd les pédales. On relativise, ça fait chaud : on n'est pas seul.

On est sur le fil, sans balancier et le pied pas bien assuré. Ben, ces petites lueurs ironiques, ça fait des points de repère. On avance… On a beau savoir que le funambule en chef , un jour de stoïcisme (ça tombe souvent le 2 décembre, le stoïcisme) s'est fait un croche-pied, ça ne change rien. C'est les risques du métier. Si personne ne croyait en la possible chute, pas de public, pas d'artiste. C'est comme ça.

Les belles leçons, les meilleurs aphorismes, ça ne vous remet pas à neuf. Mais ça aide à faire un petit pas en avant… Et comme dit si bien la chanson : « La meilleure façon de marcher, c'est encore la nôtre, c'est de mettre un pied devant l'autre et de recommencer ».

Ainsi, de petit pas en petit pas, on finit par atteindre le bout du fil. On abandonne le funambulisme pour la terre ferme. On se refait une existence, plusieurs si nécessaire. Et revenu le confort, on redevient esthète. Mais on n'oublie pas.

Voilà ce qu'a été et reste pour moi Gary : un faiseur d'étoiles dans la nuit.

Je ne suis pas fan. Je n'aime pas tout. Je ne le suis pas dans bien des envolées. Les pieds sur terre, j'ai vite le vertige. Mais comme Brassens c'est un compagnon à qui je suis fidèle. Fidèle au rire doux-amer dont ils ont su parer leur angoisse… et, accessoirement, ma vie.

12 commentaires:

  1. J'ai découvert Romain Gary à travers La Vie devant soi, entre deux quarts à la mer, puisque ce livre se trouvait dans la bibliothèque du porte-avions à bord duquel j'effectuais mon service militaire. C'est le premier de la demi-douzaine de livres que j'ai lus de lui (avec, de mémoire, Éducation européenne, La Promesse de l'aube, Les Racines du ciel, Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable et Gros-câlin) et celui qui m'a laissé le meilleur souvenir. J'avais même suffisamment intéressé plusieurs de mes camarades et même mon chef de quart pour qu'ils l'empruntent et le lisent à leur tour. Plus tard, j'appris qu'il avait fini par disparaître dans le paquetage d'un quartier-maître fusilier marin qui "oublia" de le rendre avant son débarquement. Gary, oui, c'était aussi ce que je lisais voici vingt-cinq ans, à l'époque où je partis, moi aussi, gagner ma vie et vivre à Londres dans quelque mètres carrés. Votre beau texte me donne envie de lire ce roman que je ne connaissais pas.

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    1. Heureux de vous avoir donné cette envie. J'ai tout lu de Gary. Je vous conseillerais également "Clair de femme".

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  2. J'ai ouvert au hasard le livre que je viens de commencer à lire, et voici ce que j'y ai trouvé pour vous :
    "Peut-être tous les dragons de notre vie sont-ils des princesses qui n'attendent que de nous voir beaux et courageux. Peut-être que tous les effrois ne sont-ils au fond du fond qu'une impuissance qui demande notre aide" (citation d'une Lettre à un jeune Poète de Rilke)
    L'ami - Sigrid Nunez - (Titre original : The Friend)

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    1. "LettreS à un jeune poète" de R. M. Rilke était un ouvrage qu'il était de bon ton de lire quand j'étais en terminale. Je le lus donc mais, comme la plupart des livres que j'ai lus, je n'en garde aucun souvenir.

      Pour ce qui est des dragons, ici, on n'en voit guère. Peut-être est-ce dû à la proximité du Mont Saint-Michel et à la propension qu'avait ce dernier à les terrasser... Quant au princesses, soit elles ont beaucoup vieilli, soit elles sont parties tenter leur chance à Paris.

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  3. Bonjour,
    Tant pis si je passe pour un béotien (con de service en langage revisité), mais je n'ai pas compris le rapprochement entre 2 décembre et stoïcisme.
    Pouvez-vous m'aider à mourir moins ignare?
    Merci.

    Le Page.

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    1. Romain Gary s'est suicidé le 2 décembre 1980 (ce qui lui a évité de connaître les années Mitterrand).

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  4. Peut-être préfèreriez-vous que je vous raconte ce jour où à Venise, sur une placette bien modeste, nous étions assis mon mari et moi, à une table juste à côté de Romain Gary et de sa "secrétaire" qui visitaient la ville aussi, et qui s'étaient arrêtés là pour se désaltérer et se reposer ? Nous étions les seuls clients sur ce bout de terrasse.
    J'ai fait semblant de ne pas le reconnaître mais j'avais ouvert les oreilles et j'entendais la conversation. Ils se demandaient s'ils auraient la possibilité d'assister à un concert. La dame finit par poser la question au garçon qui faisait le service.
    En somme des touristes banals qui n'attiraient guère l'attention plus que d'autres !

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    1. Ben oui, à quoi s'attendre d'autre ? Il n'allait pas grimper nu sur la table, en descendre par un triple salto arrière, avaler des guêpes ou se mettre à yodeler d'une voix de fausset...

      Rencontre pour rencontre mais celle-ci étrange : avec ma seconde épouse nous étions à la salle des ventes de Nogent-le-Rotrou et le commissaire priseur vendait une horloge comtoise ancienne quand un homme, que son agitation rendait un peu inquiétante, se mit à enchérir. Le prix était élevé et je ne comprenais pas pourquoi le commissaire tenait compte de ses enchères vu qu'à mon avis il devait s'agir de l'idiot du village. Je fis part de mon impression à ma femme qui me dit qu'il s'agissait de Gérard Lenorman !

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  5. Voilà une bonne idée d'articles futurs : vous nous raconteriez vos rencontres fortuites avec les célébrités. Celles dont je me souviens pour ma part : dans ma jeunesse, Maurice Ronet et Françoise Sagan (à chaque fois au restaurant), Michel Blanc, Muriel Robin, Sophie Marceau (dans les rues de Paris).

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    1. Bof, si vous voulez faire des rencontres artistiques il suffit d'aller au marché bio du boulevard Raspail le dimanche matin:
      Vincent Lindon, Gérard Depardieu, Jean-Luc Bideau, Emmanuelle Devos, Marie Gillain et j'en oublie sans doute.

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    2. @realist : je ne suis pas suffisamment mondain pour me rendre au marché bio du boulevard Raspail le dimanche matin ! Ceci dit, il m'arrive aussi de croiser ce genre de monde dans mon plou d'origine de Le Palais, à Belle-Île-en-Mer. Comme je n'ai plus la télé depuis 20 ans, j'en ai sans doute raté (de la liste que vous énoncez, je ne connais que les deux premiers).

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    3. Mardi je me suis trouvée voisine de Julia Kris..va au salon manucure rue ND des Chps.
      Réalité des bobos de l'âge, ongles en miettes, langage simple accessible à chacun..




      tout leonde

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