dimanche 23 juin 2019

Le plateau de l'angoisse

Ma chère et regrettée ex-épouse, qui m'a, hélas, donné l'occasion de parler d'elle récemment, était douée d'une rare capacité à se foutre du tiers comme du quart. Ce qui comme toute qualité présente de menus inconvénients. Une veille de Noël, sa mère qui préparait le réveillon, s'aperçut qu'il lui manquait un ingrédient. Elle pria donc Nelly d'aller le chercher. L'idée ne plaisait qu'à moitié à cette dernière, elle accepta cependant la mission mais au lieu de courir d'une épicerie à l'autre par un froid soir de décembre, elle se contenta d'aller calmement boire un pot au bistrot du coin et, ayant laissé passer un temps raisonnable, alla retrouver sa génitrice pour lui annoncer que ses visites à tous les commerces de la ville avait été vaines. L'épisode me fit bien rire.

En revanche, sans que cela nuise gravement à mon équanimité, je lui dois d'avoir découvert dans des circonstances un brin inquiétantes, le plateau de l'Aubrac Quittant Montpellier pour rejoindre Châteauroux, plutôt que de prendre les grandes routes, je décidai d'emprunter le réseau secondaire et, après un rapide coup d’œil à la carte de France, nous prîmes la route, Nelly se voyant chargée du rôle de copilote. Rôle qu'elle dut accepter plus par gentillesse que par enthousiasme. Au bout d'une vingtaine de kilomètres, nous devions tourner en direction de je ne sais plus quelle petite ville. La carte sagement posée sur ses genoux mon copilote semblait à son affaire. Pourtant quand je lui demandais si nous approchions du village où nous devions changer de direction, elle se montrait rassurante quoiqu'un peu évasive. Le temps passait, les kilomètres s'accumulaient sans que nous ne l'atteignions. Finissant par m'inquiéter, j'arrêtai le véhicule, pris la carte et dus constater à mon grand dam que nous avions passé ladite bifurcation d'une cinquantaine de kilomètre. Peu enclin à retourner sur mes pas, je décidai de prendre une route qui nous permettrait selon moi de mener vers notre destination. L'idée ne fut pas bonne. La route nous mena vers des coins du Massif Central carrément oubliés de Dieu. N'ayant qu'une carte à grande échelle, le nom des rares villages traversés n'y figurait évidemment pas. Pour résumer, je n'avais pas la moindre idée d'où nous pouvions être les panneaux indicateurs n'indiquaient que des trous paumés. La situation devenait d'autant plus inquiétante que j'étais alors l'heureux propriétaire d'un magnifique 604 munie de toutes les options possibles à l'époque mais non dotée de la remorque de carburant qu'aurait justifié sa consommation. Je voyais la jauge baisser dangereusement. C'est alors que je vis un panneau qui me rendit espoir : AUBRAC 17 km ! Pour qu'un lieu soit signalé d'aussi loin, il fallait qu'il ait une certaine importance ! On y trouverait forcément une station-service ! Ces kilomètres à travers un morne plateau furent vite avalés. Et nous atteignîmes Aubrac.

Hélas, Aubrac, village de la commune de Saint-Chély d'Aubrac, s'il présente un attrait touristique indéniable, présente aussi le défaut, pour qui chercherait à s'y approvisionner, d'être quasiment désert (5 habitants permanents aux dernières nouvelles). Pas plus de station-service que de beurre au tribunal. Je sentis l’abattement m'envahir. Si on résumait la situation, nous nous trouvions au milieu de nulle part, ignorant tout des éventuelles bourgades environnantes avec un réservoir presque à sec sur une route où l'on n'avait croisé ni véhicule ni âme qui vive (à moins que les vaches rousses en aient une). Je nous voyais tomber en panne sèche et contraints de passer la nuit sur ce lugubre plateau. Que faire sinon continuer de rouler ? Ce que nous fîmes. Et avant qu'on ne tombe en panne nous parvînmes à rejoindre un semblant de civilisation, à faire le plein et finalement à rejoindre nos pénates.

De cet épisode je tirai deux enseignements. D'une part que confier à Nelly la charge de me guider était une erreur, d'autre part que l'Aubrac en général et Aubrac en particulier n'étaient pas des endroits fréquentables.

26 commentaires:

  1. Mais c'est infiniment précieux, des contrées où il est encore possible de se perdre ! Et je dois dire que la Haute-Auvergne est particulièrement propice à ce genre d'errances…

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est pourquoi je préfère une partie du Massif Central moins sauvage.

      Supprimer
    2. Des paysans, il y en a aussi en Corrèze, mais les paysages y sont moins austères que dans l'Aubrac.

      Supprimer
  2. Depuis fort longtemps, je ne confie plus le suivi des itinéraires aux dames: les cartes routières ne sont pas leur truc avec, de plus, la querelle assurée. Reste les cartes de restaurant, mais là aussi, ça les laisse méditatives. Et si elles ont le choix entre plusieurs menus, on se retrouve alors avec un problème cornélien et l'angoisse de l'attente de la décision: viendra-t-elle un jour?
    Mais je me suis réconcilié avec elles depuis que j'ai mon GPS, la charmante et suave voix qui me guide garde son équanimité (je voulais le placer aussi)en toutes circonstances, et le fantasme de la femme idéale m'apparaît...

    Le Page.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Permettez-moi de vous contredire : certaines femmes sont très compétentes en lecture de cartes routières. Ce qui ne va pas sans inconvénients non plus car contrairement à la gentille dame des GPS, elles ont tendance à se montrer agacées quand il arrive qu'on rate un changement de direction, ce qui nuit à l’équanimité du conducteur.

      Il y a pire que les restaurants : la moindre course prend souvent un temps fou !

      Supprimer
  3. Je vois bien votre problème : vous ne connaissiez pas le moindre né-natif, ni de la Lozère ni du Cantal, d'où votre "angoisse", car il vous la baille belle, Maître Goux, depuis le fauteuil de la case !
    Sinon ces gens si particuliers vous auraient converti à leurs paysages, à leurs villages, à leurs châteaux, à leurs églises, en un mot à ce qu'ils sont !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Possible, quoique le peu de souvenirs que je garde de l'Aubrac et de ses alentours m'en fasse douter. Je préfère la Corrèze ou l'Aveyron. Leurs paysage sont plus riants.

      Supprimer
    2. Mais Aubrac EST dans l'Aveyron !!!
      Vous avez fait le plein à Nasbinals ?

      Supprimer
    3. Vérification faite, Aubrac est bien dans l'Aveyron mais pas dans la partie la plus riante de ce département. A force de regarder les cartes, je suis arrivé à la conclusion que notre plan était de rejoindre Clermont-Ferrand par la nationale 9 (l'autoroute A 75 n'existait pas alors) et de là Châteauroux via Montluçon. Nous nous étions un peu éloignés de la N 9. Nasbinals étant sur la route permettant de relier Aubrac à la N 9, il est donc fort probable que ce soit là que nous ayons fait le plein. Reste une inconnue : suite à quelle erreur et par quels chemins étions-nous parvenus à Aubrac ?

      Supprimer
    4. Je me suis permis de mettre cette remarque parce que j'ai beaucoup d'ancêtres originaires de "par là" (Aurelle-Verlac, Prades d'aubrac, Saint-chély d'aubrac). Je pense que c'est à Séverac le Château que vous avez pris vers St Geniez d'Olt au lieu de La Canourgue… Mais c'est sûr qu'avec une femme copilote … (bon on va se faire allumer)

      Supprimer
    5. Malgré mes cartes je n'ai pu reconstituer notre itinéraire. Vu que vous êtes de la région, je suppose que vous avez raison.

      Supprimer
  4. St Gêniez d'Olt, Laguiole, les routes pour y aller ... une merveille.
    Un peu oppressant quelques fois, ça dépend de l'état d'esprit du moment.

    Sans doute l'habitude, mais je me sens plus à l'aise près de Rodez pour un séjour que sur les monts d'Aubrac.

    Bref 604 ou 2 chevaux, je n'aurais pas aimé être à votre place.
    Je connais quelques uns qui auraient "chanté Manon sur l'air de la Tosca" à leur épouse.
    Hélène dici

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vu que 'avais la crainte d'une panne sèche, je n'ai pas prêté beaucoup d'attention aux beautés des lieux.

      Je ne n'en ai pas voulu un instant à mon épouse. Son insouciance palliait mes angoisses et puis, ce n'était qu'un peu désagréable, il n'y avait pas grand péril pour l'équipe de choc que nous formions alors.

      Supprimer
  5. Ne me parlez pas de dormir au buron, moi qui ai eu tant de mal à ne pas m'endormir à mon bureau !

    RépondreSupprimer
  6. De toute façon, ce n'est pas joli-joli de rejeter sur la région l'impéritie routière d'une épouse et sa propre imprévoyance (on ne s'engage pas sur des chemins de traverse sans avoir fait le plein, nom d'un diesel !).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et voilà que non content de vous avoir fait la leçon, Oncle Jacques, voilà qu'il revient pour vous faire la morale !

      Supprimer
    2. Que voulez vous, Mildred, il a le fond mauvais... C'est d'ailleurs ce que j'apprécie chez lui.

      Supprimer
  7. Pour moi, Aubrac, ce sont des vaches que j'ai vues au salon de l'agriculture. Et après ce que je viens de lire, ça me suffit.
    Les pays sauvages sont parfaits pour y vivre quand on aime la paix, pas pour y passer quelques jours.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Y vivre a ses inconvénients comme devoir parcourir des dizaines de km pour faire ses courses, voir un médecin, faire des démarches, etc. Il faut aimer...

      Supprimer
  8. C'est tout de même une aventure enrichissante...et qui finit bien!
    Et puis, tout de même, des endroits quasi-déserts, ça rassure qu'il y en ait
    encore!
    Amitiés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Toute expérience est enrichissante. Vues toutes les vicissitudes que j'ai connues, rien d'étonnant à ce que je sois si riche.

      Supprimer
  9. Et moi qui venant vous lire via le blog de D. Goux, m'attendais à un récit de Résistance.
    Diable, le Plateau de l'angoisse ... s'agissant de l'Aubrac ... toutes les craintes étaient permises. Heureusement pour vous, l'angoisse fut de plus courte durée mais sûrement pénible (je n'accepte plus d'être copilote depuis longtemps).
    Pardonnez-moi si je vous ai vieilli !!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vous m'avez en effet vieilli. Mais je suis habitué à ce genre de choses. Un jour que je parlais de la guerre avec l'assistante d'allemand de l'école où j'exerçais à Londres (de quoi peut-on parler avec les allemands, sinon de guerre?), je luis dis que n'importe comment, j'étais né après la guerre. Croyant s'être mal exprimée, elle me précisa alors qu'elle parlait de la deuxième guerre mondiale et non de la première à quoi je lui répondis que c'était bien après la DEUXIÈME que j'étais né. Le visage de la pauvre jeune fille, confuse de m'avoir vieilli d'une bonne vingtaine d'années, tourna au rouge-écrevisse.

      Supprimer
    2. Par expérience, je me rends compte qu'effectivement des qu'on parle avec des Allemands on parle très vite de guerre. Sauf avec les nouvelles générations qui pour certains s'en contrefichent.
      Je voulais aussi réhabiliter la mémoire de celle qui fut votre épouse, accusée d'incompétence routière. Personne ne s'est donc avisé que le coup de la carte est le pendant féminin du coup de la panne,dans les deux cas le but est de s'isoler en rase campagne avec l'élu. But parfaitement atteint dans l'Aubrac mais il ne semble pas que vous en ayez profité, quel dommage ....

      Supprimer
    3. solveig, je ne suis pas certain, qu'étant alors tous deux jeunes et fougueux, nous ayons vraiment eu besoin d'un "coup de la carte" pour nous inciter au vice. Cela dit, je peux me tromper...

      Supprimer
    4. Bon, tant pis ... au moins j'aurai essayé !

      Supprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.